[BLOG] Financier & psychologique : le double jeu gagnant des primaires de la droite
Au-delà de la parure démocratique, l’organisation d’une primaire peut engendrer sur les citoyens des effets psychologiques non-négligeables en faveur du parti organisateur.
Au soir des résultats du premier tour des primaires de la droite et du centre régnait chez les journalistes comme un air de chevalerie. D’aucun imaginait, devant la large avance de François Fillon devant Alain Juppé, que ce dernier pourrait, dans un élan de dignité et d’apaisement, rendre les armes sans concourir pour le second tour. Cette naïveté fut finalement inversement proportionnelle au temps mis par Juppé pour annoncer la remobilisation de ses troupes en vue du week-end suivant. Les journalistes plus chevaleresques que les chevaliers donc… Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour déterminer pourquoi cet abandon était très improbable. Ces raisons ont à voir avec les conséquences même des primaires. Car pourquoi au fond nos deux partis politiques français historiques se sont-ils soudainement pris au jeu d’une primaire ?
Une première hypothèse consiste à y voir un effet de mode. À l’heure où les médias nous enivrent de politique américaine au point où les primaires États-Uniennes intéressent les français plus que nos propres élections, un effet de mimétisme n’est pas à exclure. « L’hollywoodisation » de notre mode de vie dispose très bien nos citoyens et téléspectateurs français à imiter les us et coutumes de nos voisins d’Outre-Atlantique. Ne dit-on pas qu’il suffit d’observer les États-Unis pour prédire l’évolution de notre société française à quelques années d’intervalle ?
Une deuxième hypothèse consiste à y voir une voie « démocratique » de désigner le candidat qui représentera son parti. Il faut être réellement emprunt jusqu’à l’os de fibre démocratique, voire jacobin sur le tard, pour estimer que les encartés d’un parti ne sont pas seuls capables de faire eux-mêmes le choix stratégique de leur représentant à une élection.
Une raison évidente pour laquelle il n’était pas dans l’intérêt des Républicains que Juppé abandonne la poursuite du Graal dès le premier tour est la manne financière issue de ces primaires. À raison d’environ 4.5 millions de votants à 2 euros le bulletin pour chacun des deux scrutins, l’opération aura rapporté quelques 18 millions d’euros au parti des Républicains [1]. Si la possibilité d’utiliser effectivement ces fonds pour la campagne présidentielle de Fillon n’est pas encore claire, cela représente tout de même une somme équivalente à environ la moitié des produits annuels du parti [2]. Sans deuxième tour de scrutin c’est 50% de cette somme qui était « perdue », de quoi même voir un François Fillon confiant encourager un Alain Juppé résigné de continuer la lutte.
“En plus du bénéfice stratégique de désigner le candidat le moins susceptible d’être rejeté par les sympathisants de son parti […], ces primaires génèrent une présence médiatique exceptionnelle”
Enfin, et cette raison est moins évidente de prime abord, les primaires de la droite et du centre se révèlent un outil psychologique puissant. Pour rappel, ce scrutin était le seul d’envergure national organisé en 2016, attendu comme le messie pour savoir qui, du propulsé Juppé ou de Sarkozy sur le retour représenterait son parti en 2017. Jurisprudence Trump oblige, Fillon sorti de derrière les fagots grilla la priorité à ces messieurs. Après l’agitation des élections américaines, la grand-messe électorale franco-française de l’année donc. Tenons-nous bien : sept candidats, trois débats télévisés à plusieurs semaines d’intervalle, deux journées de vote et autant de soirées électorales. Jusqu’à l’overdose ? Justement, en plus du bénéfice stratégique de désigner le candidat le moins susceptible d’être rejeté par les sympathisants de son parti le jour venu de l’élection, ces primaires génèrent une présence médiatique exceptionnelle. Et en dehors du cadre du temps de parole réglementé en période électorale… Une campagne avant l’heure finalement ! Cette procédure a toutes les chances de produire des effets psychologiques puissants sur les citoyens. J’évoquerai brièvement deux d’entre eux. Le premier est l’effet de la « cohérence comportementale ». Si la majorité des sympathisants de droite a, en toute liberté, après s’être déplacé et en donnant de son propre argent, voté Fillon en novembre, alors il y a fort à parier qu’une majorité de cette majorité restera engagée dans la démarche de voter pour ce même candidat en mai prochain. Tout du moins, cette proportion peut difficilement être plus faible que si les primaires n’avaient pas eu lieu. Cet effet pourrait se rapprocher de ce que les psychologues sociaux nomment « pied-dans-la porte », où la réalisation d’un acte à un instant t augmente, par cohérence personnelle, la probabilité de répondre à une requête plus coûteuse dans le futur [3].
“La familiarité avec un candidat rend ce dernier plus compétent et plus intelligent aux yeux des observateurs”
Le second effet que j’identifie est celui de la familiarité. Les candidats des primaires de la droite ont littéralement monopolisé l’attention des médias qui nous ont fait découvrir certains hommes politiques, comme Jean-Frédéric Poisson, ou rappeler au bon souvenir d’autres passés de mode. Il est probable que ce matraquage général, largement en amont des élections présidentielles finales, instille un effet de familiarité. En effet, des études scientifiques montrent que la simple familiarité, c’est-à-dire l’exposition répétée, avec une personne la rend plus attractive aux yeux d’un observateur [4]. Encore mieux, dans un contexte politique, la familiarité avec un candidat rend ce dernier plus compétent [5] et plus intelligent [6] aux yeux des observateurs. La familiarité serait ainsi à la source d’un raccourci psychologique pour, dans un monde par définition hétérogène, identifier rapidement les personnes à qui se fier. Malheur aux inconnus ou aux candidats hors du feu médiatique !
L’un des avantages cachés de cette primaire pourrait ainsi être de rendre le futur candidat de la droite plus familier ; aussi familier que des personnes proches que l’on tient en estime, pour, le moment venu, glisser le « bon » bulletin dans l’urne. Le bulletin du candidat le plus compétent pour ce poste. N’est-ce pas la qualité que l’on recherche chez un futur président après tout ? Qui voterait pour un inconnu ?
Stratégiques, financiers ou psychologiques, l’organisation d’une primaire, au-delà de la parure démocratique, révèlent des avantages insoupçonnés mais qui pourraient bien, par l’action de médias omniprésents, influencer significativement l’identité du futur président de la République Française.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_R%C3%A9publicains_(parti_fran%C3%A7ais)
[3] Freedman & Fraser (1966) J. Pers. Soc. Psychol. http://www.demenzemedicinagenerale.net/images/mens-sana/Foot_in_the_door_technique.pdf
[4] Peskin & Newell (2004) Perception https://www.researchgate.net/profile/Fiona_Newell2/publication/8596344_Familiarity_breeds_attraction_Effects_of_exposure_on_the_attractiveness_of_typical_and_distinctive_faces/links/00b7d519dd8a592fb5000000.pdf
[5] Verhulst et al. (2010) J. Nonverbal Behav. http://www.people.vcu.edu/~bverhulst/pubs/VerhulstLodgeLavine2010.pdf
[6] Weigold et al. (2013) Curr. Psychol. http://link.springer.com/article/10.1007/s12144-013-9177-2
————————————–
À PROPOS DE L’AUTEUR :
Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…
Une opinion ? Un commentaire ? Partagez-les ici !
article extrêmement intéressant, à la portée de tous , agréable à lire et non rébarbatif car teinté de quelques traits d’humour .A quand d’autres du même genre sur les faits de société ?
Merci Sylvie. Cette proposition ne correspond pas à l’objectif initial du blog, mais effectivement des articles similaires pourraient revenir plus régulièrement !