[BLOG] Réduire l’agressivité au volant à l’aide de la psychologie sociale
En matière de sécurité routière, les appels à la sérénité et à la vigilance au volant sont aujourd’hui omniprésents. Aussi, les moyens mis en œuvre afin de promouvoir la sécurité sur la route sont importants, oscillant entre prévention et répression. D’un côté les radars de vitesse apparaissent tels des champignons à l’automne, et de l’autre les campagnes de publicité envahissent l’espace audio-visuel. Pour quelles conséquences ? Dans le premier cas les automobilistes s’insurgent face à une déferlante répressive et un matraquage pécuniaire qu’ils jugent injustifiés. Dans le second cas, la charge émotionnelle véhiculée par les spots audio-visuels est loin de garantir une transmission optimale du message-clé. En définitive, prévention et répression semblent se renvoyer la balle au sein d’un jeu à somme nulle…
Pour la psychologie sociale, la prévention routière est quasi un cas d’école. Demandez à des participants d’une action de prévention ou de sensibilisation leur sentiment vis-à-vis de la nécessité d’adopter une conduite responsable : on peut raisonnablement prédire qu’une très large majorité se prononce en faveur d’une conduite responsable. Ajoutez-y une déclaration en présence des autres participants de l’action de prévention et vous tendrez vers le 100% à coup sûr… ! Maintenant, quid du comportement effectif de nos participants à la suite de l’action ? C’est un euphémisme d’envisager que l’un d’eux ne tardera pas à griller une priorité « parce que pressé par le temps », qu’un autre omettra de laisser traverser des piétons attendant sur le côté d’un passage protégé, ou qu’un troisième dépassera « seulement légèrement » les 60 km/h sur un grand boulevard en ville. En bref, prédire que le comportement d’autrui ne reflète au mieux que partiellement ses opinions ne fait qu’enfoncer les portes ouvertes de la psychologie sociale. Étonnamment, peu d’attention a déjà été accordée à des méthodes alternatives aux techniques classiques de persuasion utilisées lors des actions de prévention.
Ainsi dans ce post je présente et commente une des seules études décrivant l’effet d’une intervention de communication engageante sur le comportement au volant. Cette étude vient d’être publiée dans le journal Transportation Research Part F, par un groupe de chercheurs français dirigé par le Professeur Nicolas Guéguen de l’Université de Bretagne Sud à Vannes. L’intérêt des études de communication engageante est qu’elles font la plupart du temps l’objet de démarches expérimentales « en conditions réelles », c’est-à-dire hors des situations artificielles du laboratoire et au-delà des simples opinions déclarées des participants. Dans l’étude que je commente aujourd’hui, l’équipe de Nicolas Guéguen a testé un protocole destiné à réduire l’agressivité des conducteurs, un comportement somme toute indésirable au volant, générateur de prise de risque et largement prévalent, comme l’indique une étude Ipsos de 2016 (voir figure ci-dessous). Ce protocole incluait la technique de pied-dans-la-porte. Cette technique consiste à promouvoir l’adoption librement consentie d’un comportement chez autrui à l’aide d’un acte préparatoire peu coûteux précédant le comportement attendu.
Plus concrètement, cette étude se déroulait en plusieurs phases aux abords d’un feu de signalisation. D’abord, un des expérimentateurs stoppait sa voiture au feu rouge. Pendant ce temps, un second expérimentateur, piéton, venait s’adresser au conducteur se trouvant immédiatement derrière la voiture du premier expérimentateur, lui demandant la direction d’un centre commercial proche, puis s’engageait dans la direction indiquée. Lorsque le feu passait au vert, le premier expérimentateur simulait une panne de sa voiture, entravant ainsi la circulation. Les variables alors mesurées étaient la probabilité que le conducteur derrière la voiture en panne (celui à qui une direction avait été demandée) klaxonne, et au bout de combien de temps il klaxonnait. Ces mesures représentent une méthode éprouvée d’évaluation de l’agressivité des conducteurs. En condition contrôle, le second expérimentateur (le piéton) ne faisait que passer devant les voitures sans interpeler personne.
« créer des conditions qui mènent à agir de manière positive avec d’autres personnes pourrait être un moyen efficace pour réduire l’agressivité des conducteurs »
En condition contrôle, 100% des automobilistes derrière l’expérimentateur en panne l’ont klaxonné. En condition expérimentale (automobilistes à qui l’on a demandé une direction) ils n’étaient que 86% à klaxonner, une différence statistiquement significative. En condition contrôle, les conducteurs ayant klaxonné l’expérimentateur l’ont fait 12 secondes après sa panne simulée, alors qu’en condition expérimentale ils ont attendu plus longtemps : jusqu’à 15 secondes, une différence encore statistiquement significative.
En conclusion, adopter un comportement pro-social en contexte de conduite amène les conducteurs à se monter moins agressifs par la suite dans ce même contexte. Ces résultats sont intéressants à plusieurs points de vue. D’abord ils montrent que le comportement-cible d’un effet de pied-dans-la-porte (ici l’agressivité) peut-être de nature différente de la première requête (ici indiquer une direction, un comportement pro-social), et pas forcément un autre comportement pro-social. Dans une perspective appliquée, ces résultats indiquent qu’il existe une alternative crédible mais malheureusement sous-utilisée au duo prévention-répression. S’il parait difficilement envisageable d’employer des hordes de personnes pour solliciter l’altruisme des conducteurs, des substituts crédibles et pertinents peuvent être imaginés afin de promouvoir les actes pro-sociaux pour plus de sérénité sur la route, comme intervenir sur les aires d’autoroute, former spécifiquement les professionnels côtoyant régulièrement les conducteurs ou utiliser des techniques d’amorçage. Comme indiqué par Guéguen et collaborateurs dans leur article : « créer des conditions qui mènent à agir de manière positive avec d’autres personnes pourrait être un moyen efficace pour réduire l’agressivité des conducteurs »
Référence : Guéguen et al. (2016) Foot-in-the-door technique and reduction of driver’s aggressiveness: a field study. Transportation Research Part F 36:1-5.
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À PROPOS DE L’AUTEUR :
Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…
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