Le neuromarketing est-il éthique ?
Les processus de ventes étaient à l’origine le terrain de jeu des commerciaux et des marketeurs. Les sciences comportementales s’en sont depuis mêlées et le neuromarketing a fait son apparition. Avec pour effet d’améliorer substantiellement l’efficacité commerciale.
Le neuromarketing consiste ainsi à prendre en compte la manière dont le cerveau des consommateurs collecte l’information, la traite, et prend des décisions. Ces connaissances permettent ainsi d’anticiper le comportement des consommateurs, de leur proposer des produits et des services en phase avec leurs préférences et leurs attentes, et de savoir contextualiser l’acte d’achat afin de le favoriser (lire ce post pour en savoir plus sur le neuromarketing). Parce que le neuromarketing est efficace et fait l’objet de beaucoup de fantasmes de la part du public, j’aborde dans ce post la question de l’éthique du neuromarketing. J’en discute en répondant aux quatre questions qui reviennent le plus souvent.
1) LE NEUROMARKETING AGIT-IL SUR L’INCONSCIENT DES CONSOMMATEURS ?
Précisément ! Et beaucoup de nos comportements sont d’ailleurs adoptés de manière inconsciente. Saviez-vous que vous remplissez d’autant plus votre assiette de crudités à la cafétéria que cette assiette sera large1 ? En aucun cas votre décision de la quantité de crudités que vous vous servez est influencée de manière consciente par la taille de votre assiette. Ce n’est pas parce que votre assiette est large que vous décidez consciemment de manger plus de crudités. Le résultat est pourtant là ! De manière générale, nous surestimons énormément le rôle de notre libre arbitre dans les évènements que nous vivons au quotidien ou les décisions que nous prenons. Ce biais cognitif s’appelle le biais d’attribution.
Le biais de l’illusion de contrôle a un impact également. En fait, notre comportement est beaucoup plus influencé par notre inconscient que nous ne le pensons2. Dans un précédent post (“Comment reprendre les calories perdues pendant votre exercice ?”), j’évoquais une étude sur des sportifs que l’on faisait participer à une séance de jogging. Lorsque cette séance était décrite en des termes liés à l’effort et l’exercice plutôt qu’au plaisir, les joggeurs avaient plus de chances de se ruer sur des barres chocolatées plutôt que des fruits après la séance. En aucun cas les joggeurs n’auraient justifié leur choix de snack par la manière dont la session de jogging avait été présentée…
Beaucoup de nos comportements trouvent donc leur origine dans des influences inconscientes. C’est un mauvais procès qui est fait au neuromarketing que de l’accuser d’agir sur l’inconscient des consommateurs, dans la mesure où beaucoup de décisions d’achat sont influencées par notre inconscient. Le biais de disponibilité en est un bon exemple. Il correspond à la plus forte probabilité de choisir une marque car son souvenir est plus saillant dans notre esprit. Ainsi, la publicité traditionnelle agit également sans le savoir sur notre inconscient depuis que le commerce existe. Le neuromarketing ne fait juste que systématiser cette démarche en lui donnant une rigueur et une objectivité scientifique.
2) LE NEUROMARKETING MANIPULE-T-IL LES CONSOMMATEURS ?
On ne peut pas répondre à cette question sans s’attarder un instant sur le concept de manipulation. En effet, la manipulation est perçue par le public comme une influence négative sur le comportement d’autrui. En gros, faire faire quelque chose de contraire à son intérêt à quelqu’un sans qu’il s’en aperçoive. Autant le dire clairement, cette vision de la manipulation est synonyme d’arnaque lorsqu’on l’applique au marketing.
Pour ma part, j’adopte comme beaucoup de psychologues sociaux une vision beaucoup moins « émotionnelle » de la manipulation3. Vous répondez positivement à l’invitation de vos amis à dîner ? Vous avez été manipulé ! Vous offrez à votre partenaire le vêtement dont il/elle vous parle depuis trois semaines ? Vous avez été manipulé ! Le facteur sonne à votre porte pour vous livrer un colis et vous allez à sa rencontre ? Vous avez été manipulé ! Nous manipulons et nous nous faisons manipuler à longueur de journée. Nous nous soumettons constamment à la manipulation de manière consciente… et consentie ! On peut considérer la manipulation comme toute influence, positive ou négative, que l’on exerce sur le comportement d’autrui. La manipulation est alors omniprésente dans notre quotidien. Elle est en fait à la base des interactions individuelles chez une espèce aussi sociale que la nôtre. Sans manipulation, pas de vie sociale, pas d’interactions, pas de coopération.
“La manipulation est à la base des interactions individuelles chez une espèce aussi sociale que la nôtre”
Transposée au marketing, cette vision considère ainsi que toute tentative de persuasion ou de conviction exercée par un vendeur sur un acheteur potentiel est de la manipulation. Est-ce pour autant immoral et condamnable ? Je défie n’importe quel commerçant de maintenir son activité en ne mettant pas en valeur ses produits et en omettant de vanter leur qualité ! En neuromarketing également, on tente de comprendre les préférences et les attentes des consommateurs afin de leur proposer des services et des produits qui les satisfont. Le but est d’anticiper le jugement et la perception qu’ils ont de ce produit afin de le développer suivant les préférences et les attentes ainsi mesurées.
En conclusion, la « manipulation » ne reflète en fait que de la persuasion et de la conviction, soit le propre de la démarche commerciale depuis que le commerce existe. Le neuromarketing utilise seulement une manière plus rigoureuse et plus efficace pour persuader et convaincre.
3) LE NEUROMARKETING ARNAQUE-T-IL LES CONSOMMATEURS ?
Non ! Le neuromarketing n’est pas malhonnête par défaut ! On a déjà vu certains décideurs ayant toutes les difficultés du monde à se justifier de son utilisation, et de manière calamiteuse qui plus est, en face de journalistes (voir l’extrait de la vidéo ci-dessous avec l’exemple de la SNCF). C’est dommageable dans le sens où il n’est pas honteux de chercher à mieux comprendre et mieux satisfaire ses clients lorsqu’on est un acteur commercial. Le neuromarketing n’est qu’un outil et ses conséquences ne dépendent que de ce que vous en faîtes. Les charlatans de toute espèce n’ont pas attendu le développement du neuromarketing pour être malhonnête. Ils l’étaient déjà bien avant ! Si vous vendez votre kilo de pommes plus cher qu’il n’était annoncé au client ; si vous mentez sur les caractéristiques réelles du dernier ordinateur portable sorti, alors vous trompez le client. Vous êtes malhonnête. Et cela n’a rien à voir avec le neuromarketing !
Le neuromarketing repose sur la compréhension des préférences, des attentes et des comportements des consommateurs. Il consiste à comprendre comment sont prises les décisions dans un contexte donné afin d’améliorer l’expérience-client et d’encourager l’acte d’achat. Les commerciaux ont d’ailleurs toujours cherché à améliorer l’efficacité de leur pratique. Le neuromarketing ne fait qu’appuyer cette démarche à l’aide d’un savoir objectif et efficace. Optimiser sa pratique commerciale doit évidemment se faire dans un cadre d’honnêteté, de respect et de confiance. Que l’on utilise du savoir scientifique à cette fin ou non. Des initiatives récentes, comme SUXECO, promeuvent d’ailleurs le respect de valeurs dans la pratique commerciale qui sont tout à fait compatibles avec l’exercice du neuromarketing.
4) LE NEUROMARKETING POSSÈDE-T-IL LA CLÉ DU CERVEAU DES CONSOMMATEURS ?
C’est le fantasme d’une partie du public et la raison pour laquelle le neuromarketing peut parfois avoir mauvaise presse. C’est oublier que les sciences comportementales dans leur ensemble sont des sciences molles. Et comme beaucoup de sciences molles, une large part de la manière dont les individus se comportent reste inexpliquée. Nos comportements ne sont pas entièrement déterminés, ni par nos gènes ni par notre environnement. Ils sont influencés par une association complexe de ces facteurs dont le résultat sur nos comportements ne peut être prédit qu’en partie. C’est la raison pour laquelle les neuromarketeurs ne sont pas omniscients et ne peuvent pas manipuler les consommateurs comme des robots. Tout simplement car il est très difficile de déterminer quels facteurs influencent nos comportements et quelle est leur importance.
“Les neuromarketeurs ne lisent pas dans le cerveau des consommateurs comme dans un livre ouvert”
L’avantage de la psychologie appliquée au marketing est de pouvoir se passer des déclarations, souvent subjectives, des consommateurs. Les neuromarketeurs peuvent alors accéder à de l’information qui n’est pas parasitée par des biais subjectifs, comme la désirabilité sociale, ou l’attachement à une marque4. Ces professionnels ne lisent toutefois pas dans le cerveau des consommateurs comme dans un livre ouvert. Au mieux, une étude de psychologie cognitive va pouvoir déterminer que la terminaison d’un prix en 9 va affecter la perception du prix à la baisse et ainsi inciter à l’achat. Ce genre de connaissance ne permettra jamais de vendre n’importe quel article à n’importe quel prix. Les neuromarketeurs ne sont pas des magiciens ! Mais si un restaurateur peut vendre un peu plus de son bœuf bourguignon lorsque le prix est fixé à 19 euros plutôt qu’à 20, alors le neuromarketing aura démontré son efficacité et remplit son contrat !
Alors le neuromarketing est-il éthique ou pas ? J’espère avoir pu aiguiller vos réflexions en répondant à ces questions et j’attends vos commentaires en bas de cette page afin de prolonger le débat !
1Van Ittersum & Wansink (2012) Journal of Consumer Research
2https://www.chapitre.com/BOOK/beauvois-jean-leon/deux-ou-trois-choses-que-je-sais-de-la-liberte,52842452.aspx
3https://www.pug.fr/produit/1162/9782706118852/petit-traite-de-manipulation-a-l-usage-des-honnetes-gens
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À PROPOS DE L’AUTEUR :
Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et de meilleurs services dans différents domaines. ANALYTICA est le créateur du service neuromarketing CogniSales, et du service de menu engineering nouvelle génération CogniMenu.
Le débat se prolonge ici ! N’hésitez pas à partager vos commentaires et vos opinions !
Bonjour, aurais-tu un exemple à donner d’une campagne publicitaire à succès réalisée grâce au neuromarketing? Ou d’un produit ou service qui a fonctionné grâce au neuromarketing?
Les prestataires sont en général assez discrets sur l’utilisation du neuromarketing. Tout simplement car cela fait partie de leurs process confidentiels.
Sur cette page (https://www.behavioraleconomics.com/loving-psychology-behind-mcdonalds-restaurant-future/) sont analysées les techniques de neuromarketing mises en place par McDonalds dans leurs points de vente récemment.
Et ici (http://cabinet-analytica.fr/sncf-experience-client-gare-lyon/), j’analyse comment l’expérience-client a été améliorée dans la boutique SNCF de la gare de Lyon en prenant en compte la psychologie des clients.