Pour en finir avec la PNL
La Programmation Neuro-Linguistique (PNL) connait actuellement un essor considérable en France. La PNL est une pratique qui théorise et articule nos modes personnels de communication et les modes de pensée et de fonctionnement de notre cerveau. Son ambition avouée est d’utiliser les connaissances des neurosciences afin d’améliorer les pratiques de communication et de réalisation de soi. Alors la PNL, discipline scientifique légitime ou pseudoscience à la mode ?
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Je suis un scientifique, ancien chercheur, spécialiste des sciences comportementales. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, l’une des premières réactions de beaucoup d’interlocuteurs lorsque je me présente en réunion professionnelle est « Les sciences comportementales ? Super ! comme la PNL par exemple ?? ».
S’en suit une délicate hésitation pour moi. Je peux expliquer diplomatiquement qu’en tant que scientifique, je me base sur d’autres concepts et théories dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée. Je peux aussi passer pour le rabat-joie de service en expliquant que la PNL n’a rien de scientifique et que la seule chose qui ait été prouvée est son inefficacité. Autant briser le suspense dès maintenant… On peut parfaitement à la fois être un scientifique diplomate et passer pour un rabat-joie. Je dirais même que l’un survient rarement sans l’autre !
Si dans l’esprit des scientifiques, faire le procès de la PNL est ainsi que frapper un âne mort, la chose est toute différente pour le public. Il faut réellement être immergé dans les milieux professionnels, l’entrepreneuriat, la formation, le conseil, pour se rendre compte de la vague submersive. À la fois des pseudosciences et de la PNL. Congrès dédiés, titres de maîtres praticiens, fédérations, formations spécifiques, la PNL est partout.
Dans une France où les gens communiquent de plus en plus mal, est-ce si étonnant que les directions d’entreprise voient comme le messie des techniques qui promettent d’établir un dialogue et une coopération efficace ? Et dans un cadre bienveillant s’il vous plait ! Alors quoi ? Ai-je loupé l’innovation du siècle ?
Il faudrait bien un livre entier pour expliquer le développement de la PNL et de sa popularité, pour démontrer son caractère pseudoscientifique, argumenter que dans une société en perte de repères spirituels elle représente le fer de lance des pseudosciences, et en parallèle insister sur le succès du développement personnel dans une société française de plus en plus libérale (voir “La dictature de l’ego” de Matthias Roux). Ce n’est pas l’objet de ce post. Nous allons ici seulement analyser la PNL au double spectre de l’objectivité et de la pertinence.
LA PNL & SES APPLICATIONS
La PNL est un concept que l’on pourrait qualifier de new-age dont l’objet principal est de mettre en relation les représentations mentales, le langage, la mémoire, les idées et les comportements. La PNL a ainsi créé des passerelles entre toutes ces facettes pour les combiner et assister des objectifs de performance, qu’ils soient personnels, sportifs, thérapeutiques.
L’un de ses principes phares est celui des mouvements oculaires. Lorsqu’un sujet est soumis à certaines questions précises, les mouvements oculaires qu’il produit seraient caractéristiques des préférences du sujet en termes de systèmes de représentation, de perception, d’utilisation et de mémorisation de l’information (voir ci-dessous). L’on pourrait ensuite ajuster la communication envers différentes personnes de manière individualisée afin de se conformer à leurs canaux de communication préférentiels. Le but ultime étant d’améliorer la coopération au sein d’une équipe, d’améliorer les performances individuelles ou de rendre la thérapie de patients plus efficace.
Afin de rentrer dans le vif du sujet et de comprendre les champs d’application de la PNL, voici un court reportage qui nous explique comment Florent Manaudou, champion de natation, a conquis l’or olympique grâce à la PNL.
PSEUDOSCIENCES EN TOUS GENRES
L’exemple de Manaudou n’est ni anodin ni une goutte d’eau dans un océan de bonnes pratiques. Les exemples de techniques new-age dans le milieu sportif ne manquent pas. On se souvient de l’élimination fracassante de Christine Arron en demi-finale du 100m. aux JO d’Athènes en 2004. Et du scandale qui s’en suivit à propos de la psychothérapeute énergéticienne Fanny Didot-Abadi avec qui elle cessa immédiatement toute collaboration. On apprend même que cette psycho-énergéticienne travaillait sur les ondes dans le stade où son athlète allait concourir et déposait de la poudre sur la ligne de départ…
Dans les années 90, l’équipe nationale de football d’Angleterre a fait appel à une guérisseuse, Eileen, avec des techniques surprenantes, délicieusement rapportées par l’enfant terrible Paul « Gazza » Gascoigne : « Eileen a mis sa main sur ma tête, a marmonné des petites phrases, avant d’énoncer doctement que j’avais beaucoup de mauvais esprits dans la tête. Elle m’a expliqué qu’ils se répandaient désormais dans ma maison. Elle a ouvert la fenêtre pour les faire sortir ».
Lors des mondiaux 2019 à Doha, la Fédération Française d’Athlétisme a peu apprécié la présence d’un hypnotiseur dans l’hôtel des Français, dont une séance filmée s’est retrouvé illico presto sur les réseaux sociaux.
Mais bref, on s’éloigne un peu du sujet de la PNL, même si les promoteurs du développement personnel sont souvent multicartes…
LE PROCÈS DES PSEUDOSCIENCES
Les critiques adressées à la PNL sont les mêmes que celles habituellement formulées envers les pseudosciences. On lui reproche d’utiliser des concepts scientifiques, de les amalgamer par des combinaisons qui ne sont ni logiques ni justifiées par la théorie ou l’expérience. Pour reprendre l’exemple de Manaudou : l’utilisation d’un mot-clé (langage) permet à l’athlète de se remémorer une performance (mémoire), ce qui génère une émotion et un sentiment positif (représentation/état mental). Et paf ! Par un tour de passe-passe injustifiable çà fait médaille d’or ! La PNL ne s’embête pas de circonvolutions superflues : « il suffit de le vouloir pour le pouvoir ! ».
Le plus gros reproche que l’on pourrait adresser à la PNL est de chercher des solutions à des problèmes dont la psychologie académique a depuis longtemps, et de manière fiable et démontrée, apporté des réponses. La PNL ignore délibérément la psychologie académique, et c’est un procédé plus que douteux pour une discipline qui prétend apporter un savoir et des techniques fonctionnelles. Le fonctionnel est dans le rationnel, la PNL est dans l’irrationnel.
Dans l’exemple de Manaudou, les psychologues mettraient certainement en avant la dimension psychologique de self-efficacy (efficacité personnelle), qui décrit la croyance personnelle en sa capacité à réaliser une tâche. C’est une variable prédictive de la performance dans beaucoup de domaines. Et elle a aussi le mérite, à l’inverse de la PNL, de faire l’économie de la combinaison d’un ensemble de concepts qui n’a de valeur qu’au niveau métaphorique… Mais la PNL ne se soucie pas toujours non plus d’être parcimonieuse.
Mais je me disperse. Après tout, je ne me pose pas en scientiste, chacun a droit à sa méthode personnelle pour relever ses défis quotidiens. Alors devrais-je faire confiance à mon maître praticien certifié en PNL ? Est-il efficace pour m’aider à réaliser mes challenges ? Surmonter des épreuves ? Il existe une méthode pour déterminer si une intervention (ici des sessions de PNL) a un effet sur des comportements ou une performance. Il s’agit de la méthode scientifique expérimentale. Elle a l’avantage d’apporter des réponses claires sur la réalité d’un phénomène. En gros si l’on a raison de croire ce que l’on croit. Alors plongeons-nous dans les études !
CE QUE DISENT LES ÉTUDES
L’une des applications préférées de la PNL est le coaching. Coaching personnel, coaching mental… la PNL est devenu l’avatar du développement personnel. Dans une revue de 20191, deux chercheurs britanniques dressent un constat édifiant. Parmi 40 études recensées dans la littérature scientifique traitant de la PNL et du coaching, plus de la moitié concerne des papiers conceptuels, ou des revues. Et parmi l’ensemble des études restantes, seulement deux sont quantitatives (c’est-à-dire procèdent à des mesures chiffrées), sept sont qualitatives et présentent des cas d’études relevant plus de l’anecdote. Les auteurs en concluent que les preuves de l’efficacité de la PNL dans le coaching sont quasi-inexistantes.
Les preuves de l’efficacité de la PNL dans le coaching sont quasi-inexistantes Cliquez pour tweeter
Dans une analyse systématique de la littérature portant sur 63 articles scientifiques2, Tomasz Witkowski a classé des études en 2 groupes. D’un côté, celles démontrant un effet positif d’une technique de la PNL sur différentes mesures comme l’anxiété, la sensation de contrôle, le traitement d’un syndrome de stress post-traumatique. De l’autre, celles ne montrant aucun effet. Witkowski a ensuite comparé la qualité méthodologique des études entre les deux groupes. Les ¾ des études analysées ne trouvaient aucune preuve de l’efficacité de la méthode PNL. Dans le quart restant, les études trouvant un effet positif de la PNL souffraient de défauts méthodologiques plus importants que celles du groupe ne trouvant aucun effet, comme l’absence de groupe contrôle et un plus faible nombre de variables et d’indicateurs mesurés.
Une analyse fine des caractéristiques de la PNL, peut, suivant une méthode historico-sociologique, apporter quelques éclaircissements. D’après Richard Bailey et ses collaborateurs3, la PNL coche toutes les cases des caractéristiques des pseudosciences. À croire qu’elle en aurait servi d’étalon ! En voici la liste : l’absence d’auto-correction, l’abus de tactiques de protection ad hoc pour se protéger de la réfutation, le caractère infalsifiable, l’absence de connectivité avec d’autres domaines de connaissance, l’utilisation inutile d’un langage peu clair, l’évitement d’une réelle évaluation critique par les pairs, l’accent mis sur la confirmation plutôt que la réfutation, et surtout une sur-dépendance aux anecdotes et aux témoignages plutôt qu’aux preuves systématiques. Une liste de chefs d’accusation à faire pâlir Al Capone !
La PNL coche toutes les cases des caractéristiques des pseudosciences Cliquez pour tweeter
Mais je me disperse encore ! Après tout, n’est-ce pas qu’un procès d’intention que l’on dresse à la PNL ? OK, elle a un méchant arrière-goût de pseudoscience. Mais le propre du scientifique n’est-il pas de douter et d’adopter une perspective objective sur des questions concrètes ? Plongeons-nous maintenant dans les chiffres !
LA VÉRITÉ SUR L’EFFICACITÉ OBJECTIVE DE LA PNL
Tout d’abord, on serait en droit d’attendre que les preuves de l’efficacité de la PNL abondent dans un monde où elle a une telle notoriété. À l’inverse, pour la plupart des études un minimum quantitatives, la description des conditions expérimentales est tellement pauvre qu’il est difficile d’en tirer des interprétations claires.
Heureusement, dans la littérature scientifique il existe des articles, publiés par des scientifiques et évalués par les pairs, qui résument un pan entier de la littérature sur un sujet, ou qui réalisent même des analyses statistiques globales à partir de toutes les études existantes afin de rendre compte de la validité d’une hypothèse. Ces études sont appelées revues ou méta-analyses. Quoi de mieux pour déterminer une fois pour toutes si le succès de la PNL relève d’une efficacité mesurée et vérifiée ou d’une pseudoscience lucrative à la mode.
Dans une méta-analyse conduite en 20124, une équipe de chercheurs britanniques a compilé des études testant l’impact d’interventions de PNL sur des objectifs de santé, comme la réduction de l’anxiété, la limitation de la prise de poids, la réduction de la claustrophobie, la réduction de la prise de substances illégales… Parmi les 93 études publiées recensées, seulement 5 étaient des études observationnelles longitudinales. Ce type d’étude propose de mesurer l’état du patient avant et après intervention PNL. Enfin, seulement 5 études parmi les 93 étaient des expérimentations randomisées contrôlées (RCTs). Cette méthodologie est le top de la démarche expérimentale car le protocole inclut un groupe contrôle sur lequel aucune intervention n’est réalisée. Il permet donc de certifier que c’est bien l’intervention, appliquée à un second groupe, qui est responsable, au moins en partie, de l’évolution des patients.
Les résultats de l’analyse sont peu glorieux pour les interventions de PNL. Sur les 5 études RCTs, une seule trouve une réduction de l’anxiété dans le groupe ayant subit l’intervention PNL. Ce qui veut dire que 4 études sur les 5 montrent que l’intervention PNL n’a eu aucun effet sur les patients ! De plus, dans 3 études RCTs sur 5, les patients montraient dans chaque groupe (contrôle et expérimental) une évolution de leur condition. Cela veut dire que l’état des patients évoluait de toute façon AVEC OU SANS intervention PNL, mettant en évidence un fort phénomène de type « placebo ».
Après environ 60 ans d’existence, on ne trouve toujours aucune trace de l'efficacité de la PNL Cliquez pour tweeter
La conclusion issue de cet ensemble d’études est claire. Si la question de l’utilité de la PNL reste au mieux en suspens, le minimum serait de s’abstenir de recommander ces techniques ou de les présenter comme une solution objective et fiable aux problèmes qu’elle prétend résoudre. Après environ 60 ans d’existence, on ne trouve toujours aucune trace de son efficacité. Réussir à se maintenir 60 ans en proposant du vent, cela révèle la croyance et la foi qu’elle génère. Soit, chacun est libre de croire ce que bon lui semble. Mais est-il moral et honnête de mentir sur ses bénéfices en se parant des atours rigoureux de la science expérimentale ?
C’est bien là l’une des plus grosses critiques que l’on peut adresser à la PNL. Comme beaucoup de pseudosciences, elle se sert d’un vocabulaire et de tournures scientifiques afin de bénéficier du prestige intellectuel de la science. C’est d’autant plus malhonnête que cette discipline se soumet peu à la vérification expérimentale objective. Et lorsque c’est le cas, le constat est accablant pour elle.
CHARLATANISME & DIFFUSION DU SAVOIR
Il est un point qui étonne souvent mes interlocuteurs adeptes du développement personnel. La PNL est classée par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) comme une dérive sectaire. Sous-entendu, la PNL représenterait un concept dont la portée et les objectifs, déclarés ou non, consisteraient en une manipulation malveillante d’un public à des fins qui sont contraires à ses intérêts. Il faut que notre conscience collective et citoyenne soit tombée assez bas pour promouvoir une discipline dont la malveillance et le manque d’objectivité sont publiquement reconnus. Bien bas pour que la PNL ait pignon sur rue lorsque des alternatives scientifiques, objectives et efficaces n’ait droit de cité que dans le milieu clos des laboratoires académiques et des congrès d’experts.
Le premier constat à dresser du succès de la PNL et autres pseudosciences est celui de l’échec de la diffusion du savoir scientifique et de la confiance dans la démarche scientifique. Le relativisme culturel a fait de tels ravages qu’il est souvent considéré aussi valide d’utiliser des preuves expérimentales objectives que de lire dans des entrailles de corbeaux morts à la pleine lune. Avec une petite défiance pour la première solution toutefois…
J’ai conseillé il y a peu de temps à un ami français féru de nature de visionner les documentaires « Planet Earth » de la BBC présentés par David Attenborough. La comparaison avec ce que l’on nous diffuse en France est-elle seulement nécessaire et opportune ? De toute manière, je serais incapable de citer un documentaire scientifique de qualité diffusé sur les chaînes françaises. « C’est pas sorcier » est certainement la dernière émission de qualité à avoir été présentée en France. Sa diffusion a stoppé en 2014. Mi-2019, la BBC annonce à grands roulements de tambours ses nouveaux documentaires « Seven worlds, one planet »… Bref, si la diffusion du savoir scientifique était faite de manière correcte en France et soutenue par les décideurs politiques, on saurait ce que nos chercheurs font dans leurs laboratoires. Et par voie de conséquence, l’utilité de leurs recherches, visible et correctement expliquée, proposerait une alternative crédible aux pseudosciences dont les organisations publiques et privées sont si friandes.
PARESSE INTELLECTUELLE & LETHARGIE DU MILIEU ACADÉMIQUE
Fort de tous ces constats accablants (inefficacité, tromperie…) que faire ? Blâmer le manque d’exigence intellectuel des promoteurs de la PNL dans une société française où la culture scientifique générale est pauvre ? Dénoncer le caractère charlatanesque de leur pratique qui vend du mensonge sous forme de science ? Jeter la pierre à un public professionnel prêt à avaler n’importe quel discours, du moment qu’il est bien emballé et payé par les comptes professionnels de formation ? Secouer ces universitaires qui, englués dans la compétition perpétuelle de la course à la publication, se moquent de la montée du relativisme culturel hors des murs de leurs laboratoires et qu’ils ne voient même pas ?
Un peu de tout sans doute… Voici même très certainement la combinaison gagnante… Soit l’on se satisfait d’une situation où un petit nombre tire profit d’une pseudoscience commerciale, où l’on se moque de l’efficacité et des conséquences des savoirs et pratiques utilisés dans la formation et l’accompagnement professionnel, où l’on érige la montée du relativisme culturel et du recours aux pseudosciences comme une fatalité. Soit l’on se paye l’effort d’affirmer la nécessité de la valeur (surannée ?) d’exigence intellectuelle, que d’aucuns déclareront réactionnaire, et d’expliquer que oui, certaines méthodes sont bonnes et efficaces, et d’autres ne le sont pas.
1Passmore & Rawson (2019) Neuro-linguistic programming: a review of NLP research and the application of NLP in coaching. International Coaching Psychology Review, 14, 57.
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À PROPOS DE L’AUTEUR :
Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…