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Smart City & Nudges : deux faces de la même médaille ?

 

photo ville nuitS’il existait un palmarès des thématiques en vogue actuellement dans le registre de l’innovation, la Smart City et les nudges y figureraient en bonne place. Étonnamment, aucun rapprochement, qu’il soit théorique ou technique, n’a encore été envisagé pour ces deux concepts. C’est le but de ce post de montrer comment et pourquoi Smart City, nudges et sciences comportementales vont collaborer dans un futur proche.

 

QU’EST-CE QUE LA SMART CITY ?

 

Le concept de Smart City, bien qu’encore relativement inconnu du grand public, connait un intérêt fulgurant au niveau mondial. À une époque où l’urbanisation et le taux d’urbains ne fait globalement que croître (plus de 50% d’urbains au niveau mondial, 77% au niveau européen1), se pose la question de maintenir en un espace réduit une population toujours plus nombreuse. Le défi que représente cette énigme géo-démographique tient du maintien de la qualité de vie du citoyen et de l’utilisation raisonnée, écologique et durable de l’environnement et des énergies. Enfin, le progrès technologique lié aux mesures en temps réel, à l’intelligence artificielle, aux objets connectés et au « Big Data », vient apporter une nouvelle dimension à ce challenge en fournissant le réseau d’informations à partir duquel des décisions peuvent être prises.

 

Ajuster la disponibilité des transports publics à l’affluence mesurée en temps réel, optimiser le tri, la collecte et le recyclage des déchets, centraliser les services d’action des municipalités pour une meilleure efficacité, favoriser la production et l’utilisation d’une énergie renouvelable, améliorer la coexistence de différents types de transports sur les routes… Voilà autant de défis que propose de relever la Smart City dont les traductions en français sont en conséquence multiples : ville durable, ville intelligente, ville citoyenne…

 

 

La ville du XXIème siècle devra se construire autour des habitudes des citoyens, de leurs comportements et de leurs besoins Cliquez pour tweeter

 

image profil ville

 

En la matière, des villes françaises comme Dijon sont devenues pionnières2. Denver, aux États-Unis, a également construit un projet de Smart City autour de la maîtrise et de la gestion des énergies et de l’optimisation de la circulation routière3. Ces projets centralisateurs et consommateurs de données numériques sont maintenant réalisables grâce à la collecte, au transport et à l’utilisation des données obtenues auprès d’autant de capteurs et systèmes connectés.

 

L’USAGER AU CŒUR DU SYSTÈME

 

De l’aveu même des promoteurs de la Smart City, c’est donc bien le comportement et les habitudes des usagers qui sont au centre de l’attention4. La Smart City et les territoires intelligents se développent par eux et pour eux. La ville du XXIème siècle devra se construire autour des habitudes des citoyens, de leurs comportements et de leurs besoins. La Smart City se veut démocratique ! Au-delà de l’enjeu technologique se posent ainsi deux défis plus subtils et facétieux que sont 1) connaître l’usager, sa psychologie et ses attentes pour répondre adéquatement à ses exigences, et 2) réciproquement, pour que l’usager réponde aux exigences de la Smart City, savoir le guider vers de nouvelles habitudes.

 

 

Communiquer n’est pas influencer, proposer n’est pas persuader Cliquez pour tweeter

 

NUDGES & SCIENCES COMPORTEMENTALES : UN RÔLE DÉCISIF

 

photo main globe réseauConnaître le comportement des citoyens est une chose, les faire adhérer à de nouvelles habitudes en est une autre. Les multiples campagnes de communication vouées à l’échec le prouvent au quotidien5,6. La naïveté et l’inaptitude des communicants à anticiper la psychologie et le comportement des usagers résultent en la réalisation de projets publics que les usagers vont ignorer ou auxquels ils ne vont pas adhérer7. Communiquer n’est pas influencer, proposer n’est pas persuader. Et pourtant, la communication représente la rampe de lancement des projets liés aux Smart Cities. Il ne suffit pas de proposer des bornes de tri des déchets pour que les citoyens les utilisent. Il ne suffit pas non plus de leur demander d’économiser l’eau en période de sécheresse ou l’électricité en période de forte demande pour que ces recommandations soient suivies. La Smart City peut optimiser nos modes de vie collectifs si et seulement si les usagers se comportent de manière à rendre cette optimisation possible. Sans adhésion ni engagement des usagers, point de salut pour la City, aussi Smart soit-elle !

 

L’objectif des Smart Cities est par essence de promouvoir l’intérêt collectif. Toute la question réside dans la manière de traduire cet intérêt collectif en motivations et intérêts individuels touchant directement les usagers. Sans cela, les nouvelles pratiques promues par la Smart City n’entreront pas dans les usages des citoyens. L’enjeu consiste à persuader les usagers de modifier leurs habitudes et d’adopter de nouvelles pratiques, en associant l’ergonomie de la Smart City à la psychologie des usagers.

 

FAVORISER L’ADHÉSION & L’ENGAGEMENT DES USAGERS

 

Bonne nouvelle, les sciences comportementales apportent nombre de solutions destinées à agir efficacement sur les comportements. Que l’on utilise les nudges, la communication stratégique, les architectures de décision ou des interventions plus classiques de psychologie sociale, les sciences comportementales offrent de nombreuses techniques permettant de susciter l’adhésion à de nouvelles normes et de nouvelles habitudes. Sans grande surprise, ces techniques sont largement sous-utilisées à l’heure actuelle par des communicants ne se souciant principalement que de la forme des messages adressés aux citoyens (voir encart ci-dessous). Les enjeux des Smart Cities sont pourtant trop importants pour que leur développement soit conduit sans placer la psychologie des usagers au centre des réflexions. Motiver les citoyens à s’engager dans de nouveaux usages est une démarche subtile qui mérite l’apport fiable et efficace des sciences comportementales.

 

exemples stop aux déchets

Encart : Conséquences de différents messages hypothétiques d’une campagne pour lutter contre les déchets jetés sur les autoroutes par les automobilistes (Dijon, 2018)

 

En 2014, on dénombrait 51 pays dont les gouvernements s’étaient emparés des sciences comportementales et des nudges afin de guider la mise en place d’initiatives publiques. En France par exemple, la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) place les sciences comportementales comme une voie d’avenir pour booster l’innovation publique et sociétale8,9.

 

Le recul existe et le contexte est maintenant favorable aux Smart Cities et autres territoires intelligents pour profiter de la puissance des sciences comportementales et rencontrer un succès indispensable auprès des citoyens. Le caractère « Smart » des nouvelles « Cities » se prouvera en premier lieu par l’exigence de leurs promoteurs de recourir au savoir fiable et éprouvé des sciences comportementales : une prise de conscience essentielle pour associer les citoyens et usagers aux défis urbains du XXIème siècle.

 

1 https://www.latribune.fr/regions/smart-cities/20150220trib477e7a234/pourquoi-il-faut-aller-au-dela-de-la-ville-intelligente.html

2 https://www.lemonde.fr/la-france-connectee/article/2018/03/14/dijon-premiere-smart-city-de-france_5270728_4978494.html

3 https://www.lci.fr/high-tech/smart-city-de-denver-a-dijon-ces-projets-pour-une-ville-plus-intelligente-et-ecolo-2077908.html

4 https://atelier.bnpparibas/smart-city/article/d-une-smart-city-engaged-city

5 http://cabinet-analytica.fr/le-flop-des-campagnes-de-communication/

6 http://cabinet-analytica.fr/flop-campagnes-communication-le-retour/

7 http://cabinet-analytica.fr/9-effets-psychologiques-qui-ruinent-campagne-communication/

8 http://www.modernisation.gouv.fr/laction-publique-se-transforme/thomas-cazenave-sciences-comportementales-et-politiques-publiques-inciter-plutot-que-contraindre

9 http://www.modernisation.gouv.fr/en/node/198853

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

[BLOG] Comment promouvoir et améliorer le recyclage des déchets

La psychologie appliquée offre des perspectives nombreuses et d’une efficacité avérée afin de promouvoir et favoriser l’adoption de certains comportements. Les domaines de la santé et de l’environnement en sont des cibles privilégiées. Par exemple, de nombreuses études se sont attachées à identifier les facteurs incitant chaque citoyen à plus recycler ses déchets et à mieux les trier. La plupart de ces études ne se sont toutefois basées que sur des questionnaires et il existe peu de données quantitatives sur le tri réel des déchets.

 

Borås

Borås

C’est justement sur l’estimation des habitudes de recyclage et de tri des déchets que s’est focalisée l’étude commentée aujourd’hui. Ces travaux ont été réalisés par une équipe de recherche suédoise de Borås, une petite ville du sud-ouest de la Suède, et publiés il y a quelques mois dans la revue Waste Management. Avant de décrire les méthodes utilisées par les auteurs et les résultats obtenus, quelques faits : selon l’association suédoise pour le recyclage des déchets, le taux de recyclage en 2013 était de 33%, ce qui peut paraître étonnamment faible pour un pays qui possède une image pro-environnementale forte. Pour comparaison, le taux de recyclage de l’ensemble des déchets en France en 2010 était de 60% (source : Service de l’observation et des statistiques du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie). La ville de Borås a mis en place un système de tri individuel des déchets ménagers il y a plus de 20 ans. Celui-ci consiste en des points de collecte à des endroits précis dans la ville où les citoyens peuvent amener cartons, journaux, verre, ampoules, batteries, huile etc… De plus, chaque foyer dispose de deux poubelles noire et blanche pour, respectivement, les déchets alimentaires principalement et les déchets non-recyclables. Le défi auquel font face les auteurs de l’étude est que, suite à un changement de technique de recyclage apparu il y a 10 ans, certains déchets non-alimentaires (comme les couches pour bébés) doivent désormais être placés dans les poubelles blanches au lieu des noires. Résultat : jusqu’à la réalisation de l’étude, 42% des déchets ne terminaient pas dans la poubelle appropriée…

 

Le but de l’étude a ainsi été de tester l’efficacité de deux sources potentielles d’amélioration du recyclage et du tri des déchets au niveau individuel. La première consiste à disposer un point de collecte des déchets ménagers à très forte proximité (50 mètres au lieu de 2 kilomètres) d’un groupe expérimental de foyers (208 précisément). La seconde est de distribuer de nouvelles poubelles noires et blanches portant les indications de tri actualisées à ces mêmes foyers (voir figure 2). Le taux de recyclage ainsi que le taux d’erreur de tri furent évalués par les auteurs en analysant directement et scrupuleusement la quantité et le type de déchets générés. Ces analyses furent conduites à deux ans d’intervalle : avant et après l’intervention expérimentale. Enfin, les résultats obtenus furent comparés à des foyers d’un groupe contrôle n’ayant fait l’objet d’aucune des interventions décrites ci-dessus.

 

figure 2

Figure 2

 

Les résultats de ces interventions sont équivoques : le pourcentage de déchets alimentaires jetés correctement dans la poubelle noire passa de 71% à 81% (voir figure 3 : la quantité de nourriture jetée avant l’intervention est en hachures, la quantité jetée après l’intervention en noir. Area of study désigne le groupe expérimental où a eu lieu l’intervention. Reference area désigne le groupe contrôle n’ayant fait l’objet d’aucune intervention). Le taux de couches pour bébés inopportunément jetées dans la poubelle noire diminua de 70% (voir figure 4). Enfin, le pourcentage de déchets jetés dans une poubelle inappropriée au point de collecte disposé à plus forte proximité des foyers diminua de 55% à 39%. Ces changements n’ont pas été observés dans les foyers du groupe contrôle n’ayant fait l’objet d’aucune intervention particulière.

 

figure 3

Figure 3

Ces résultats sont remarquables pour plusieurs raisons. D’abord ils montrent de manière expérimentale que les comportements de tri des déchets peuvent être favorisés par des mesures simples et rapides, ici l’installation de point de collectes plus proches et des informations sur la nature du tri à effectuer placées directement sur les poubelles ménagères. Étonnamment, la nature du tri à effectuer aux points de collecte n’ayant jamais changé, il semble qu’une distance plus proche du point de collecte agisse comme un facilitateur poussant les citoyens à être plus précis dans leur tri et à faire moins d’erreur.

 

figure 4

Figure 4

Pour conclure, plusieurs techniques simples issues de la psychologie existent afin de favoriser le tri des déchets chez les citoyens (notamment des interventions de type « communication engageante »). Parmi celles-ci, un travail sur les facteurs environnementaux, comme le montre cette étude, peut s’avérer efficace. Ainsi, l’efficacité du tri des déchets augmente lorsque 1) le point de collecte des déchets ménagers est situé d’autant plus près des foyers, et 2) les informations sur la nature du tri sont clairement accessibles au moment même où le tri est effectué (ici sur les poubelles fournies aux citoyens). Nul doute que ces résultats peuvent offrir des données fiables, crédibles, et des éléments de décisions pertinents pour la mise en place de politiques publiques liées à l’environnement.

 

 

Référence : Rousta et al. (2015) Quantitative assessment of distance to collection point and improved sorting information on source separation of household waste. Waste Management 40:22.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…