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Le flop des campagnes de communication, épisode 3 !

le pen communication psychologie flop

Lorsque j’ai rédigé mes deux premiers billets sur les flops des campagnes de communication, je n’avais pas prévu d’en faire des publications régulières. Et puis moi-même, psychologue, ai été victime du biais cognitif dit de disponibilité. Cette tendance à voir partout l’objet de votre préoccupation car elle est facilement accessible à votre mémoire. En termes moins alambiqués, j’ai commencé à voir des exemples de mauvaise communication partout.

 

Rien ne sert de blâmer mon cerveau outre mesure. Ces exemples sont OMNIPRÉSENTS. Et si je ne me contentais pas de les observer moi-même, mes contacts ont acquis le réflexe de partager avec moi des exemples d’affiches ou de publicité qu’ils jugent suspectes. Ou dont ils imaginent que j’en laisserais échapper un commentaire, parfois sarcastique, tout du moins critique.

 

Alors soit, il semble que je me destine modestement à faire de ces flops de communication un rendez-vous régulier. J’ai pris le pari d’à la fois vous révéler mes perles préférées, mais aussi d’esquisser une explication du flop, basée sur la psychologie de la communication. Comme vous le verrez, ces justifications sont parfois évidentes. Et l’on me traitera à raison de condescendance en prétendant réinventer le fil à couper le beurre. Mais pour le reste, l’expérience me montre un peu plus chaque jour que l’introspection est la plus vicieuse des compagnes. Et l’être humain décidément très mauvais pour anticiper la psychologie et le comportement de son voisin.

 

Enfin, j’ai délibérément pris le parti de ne pas faire référence outre mesure à du jargon scientifique ou des études publiées. Restons dans la vulgarisation, rapide, concise, explicite. Je reste bien entendu à votre disposition, souhaiteriez-vous connaitre noir sur blanc la justification strictement scientifique d’un phénomène que j’évoque.

 

En route !

PSYCHOLOGIE & COMMUNICATION : LE RÔLE DE L’IDENTITÉ SOCIALE

 

Et pour débuter ce 3ème épisode, j’ai souhaité partir sur un sujet « léger » : la politique !

 

le pen communication psychologie flopSur cette affiche du rassemblement national, on voit Marine Le Pen et un slogan. « Français, réveillez-vous ! ». Si les français sont endormis, qui est éveillé ? Le RN ? C’est ce que semble suggérer cette affiche.

 

En psychologie, la théorie de l’identité sociale suggère que l’on n’est jamais plus coopératif, ou que l’on ne fait jamais plus confiance à une personne, que si on l’identifie comme faisant partie de son groupe social. On évoque parfois cette théorie en parlant de l’opposition outgroup/ingroup, ou exogroupe/endogroupe. Ce qui est intéressant est ce que ce groupe social existe à n’importe quelle échelle : les autres personnes de mon village / de mon département / de ma région / de mon pays… L’important est de s’identifier à ce groupe social.

 

En fin de compte, c’est un peu eux contre nous. Les Bourguignons contre les Franc-Comtois, les Nordistes contre les Sudistes… En suggérant que les français sont endormis et qu’eux sont éveillés, les communicants du RN font l’erreur de créer artificiellement deux groupes sociaux. Ils placent de facto le lecteur de l’affiche dans le groupe opposé à celui de l’affiche. Le RN (les éveillés) contre les lecteurs (les endormis). Dès lors, pas sûr que ce soit le meilleur slogan pour rassembler et être écouté…

 

PSYCHOLOGIE & COMMUNICATION : LE RÔLE DE LA SAILLANCE

 

Deuxième exemple, probablement mon préféré. Il ne s’agit ici d’une affiche mais plutôt d’un dispositif, que d’aucuns qualifieraient de nudge… La probable inefficacité de ce dispositif n’a d’égal que le tintamarre et l’approbation qu’il a suscités dans la presse locale. Pour faire bref, voici une plaque posée devant un égout prévenant le passant que ses détritus, communication psychologie flop Dijons’il les jette parterre, finiront dans la mer. Car la mer commence, comme tout le monde le sait, depuis les bouches d’égouts de la rue de la Liberté à Dijon…

 

Le problème est que cette communication ressemble plus à du branding. On ne cherche pas à affecter le comportement du piéton. Mais son plus gros péché n’est pas là. Son défaut est de vouloir susciter chez un dijonnais la représentation de la mer et de la pollution maritime. Mis à part Besançon, je pense qu’il n’y a pas de ville moyenne plus éloignée d’un littoral que la capitale Bourguignonne.

 

Dès lors, on peut s’attendre à ce que la pollution maritime ne soit pas la préoccupation numéro 1 d’un dijonnais moyen. Ce n’est probablement pas la corde sensible la plus efficace pour éveiller les consciences dans cette ville. Il y a donc un manque de cohérence entre les représentations et objectifs que souhaite susciter cette communication, et les représentations du concept de pollution dans le cerveau d’un dijonnais.

 

Il semble que cet exemple ait été copié d’une initiative mise en place à Collioure. Sans hésitation, la pollution maritime est, dans le cerveau d’un habitant de Collioure, un concept plus facilement appréhendable que dans celui d’un habitant de Dijon…

 

PSYCHOLOGIE & COMMUNICATION : LE RÔLE DE L’HUMOUR

 

Dernier exemple. Celui-là vient de sortir, c’est tout chaud. Cette affiche semble (!?) être de la publicité pour un produit de nettoyage. Le gros problème avec le slogan est évidemment l’adverbe « seulement ». « Seulement » est réducteur et met en avant des limites. La chose est universelle (« Alors ton examen ? », « j’ai eu seulement 11/20 »). « Seulement » indique que les espérances communication psychologie flop starwaxet les attentes étaient différentes. « Seulement » est un des prémices de la déception.

 

Dans d’autres contextes publicitaires, « seulement » est utilisé pour souligner des petites valeurs dans un esprit de minimisation (« Votre nouvelle télévision écran plat à seulement 149€ »). On est loin de l’objectif de la marque. Encore une fois il y a un manque de cohérence entre le claim d’un produit de nettoyage puissant, et les mots employés pour en faire la promotion.

 

Dernière interprétation possible, le communicant souhaite jouer sur l’ironie. En mettant en avant le paradoxe entre l’adverbe « seulement » et le fort pourcentage. Malheureusement le sarcasme est le meilleur ennemi du communicant. C’est d’abord une forme d’humour à utiliser avec parcimonie, pas avec n’importe qui… Et certainement pas la forme d’humour la plus évidente et la plus facile à comprendre. Surtout lorsque le verbal et le non-verbal de son interlocuteur sont absents.

 

Rassurez-vous, cette marque ne s’est pas contentée d’une seule affiche, me donnant ainsi du matériel pour les futurs épisodes des flops de campagne de communication.

 

J’espère que cet épisode vous a plus. Souhaitez-vous en lire d’autres ? Stop ou encore ? Vos réponses en commentaires ! Merci bien.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

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Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer des services dans différents domaines comme la communication, l’influence, le marketing & les ventes. ANALYTICA est le créateur du concept des PsychoSegments, du service de neuromarketing CogniSales, du service de menu engineering nouvelle génération CogniMenu, et du service de neuromarketing appliqué au packaging CogniPackaging.

 

 

 

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[PODCAST] “Nudge et idées reçues” – Morgan David & Nudge Me

podcast nudge

Premier épisode du podcast CULTURE NUDGE, nouveau rendez-vous mensuel dédié au nudge et aux sciences comportementales, proposé par l’agence NUDGE ME ! Ce mois-ci, “NUDGE… ET IDÉES RECUES” avec Morgan DAVID, Docteur en Sciences Comportementales.

Dans ce podcast, nous abordons de multiples sujets, tels que l’histoire de l’économie comportementale et des nudges, l’utilisation des sciences comportementales et de la psychologie en communication, les enjeux, les dangers et les limites des nudges… (voir les thèmes abordés sous le lien Youtube). Bonne écoute !

 

 

 

Podcast “Nudge et idées reçues” : les thèmes abordés 

 

  • Définition(s) du nudge.
  • Un concept figé ou évolutif ?
  • Qu’est-ce qu’est un nudge ? Qu’est-ce qui n’en est pas ?
  • Le nudge est-il cher à mettre en place ?
  • Quelle différence entre influencer et manipuler ?
  • Dans quels domaines le nudge ne devrait-il pas intervenir ? Nudge et éthique.
  • Quelle est l’efficacité du nudge ?
  • Qu’est-ce que l’architecture de choix ?
  • Système 1 / Système 2, la différence est-elle pertinente ?
  • La fameuse mouche d’Amsterdam / La mer à Dijon

 

 

UN BREF RAPPEL SUR LES NUDGES & L’ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE

 

http://cabinet-analytica.fr/les-nudges-quest-ce-que-cest/

QUI EST MORGAN DAVID ?

 

Morgan David est Docteur en Sciences du comportement et fondateur d’ANALYTICA, un cabinet spécialisé dans l’ingénierie psychologique et comportementale. Morgan David intervient sur des thématiques de neuromarketing, mais également de communication et d’influence, par exemple via le nudge. ANALYTICA est aussi à l’origine de services neuromarketing exclusifs, tels que CogniMenu, CogniSales et CogniPackaging.

ANALYTICA est basé en France depuis 2016, ainsi qu’au Royaume-Uni depuis 2018.

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Profil LinkedIn de Morgan David https://www.linkedin.com/in/morgan-david-10a67410b/

Site Web du Cabinet ANALYTICA, fondé par Morgan David https://cabinet-analytica.fr

 

 

QUI EST NUDGE ME ?

 

La particularité de l’agence NUDGE ME est, dès sa création en 2016, la fusion de 2 expertises distinctes mais nécessaires à la production de dispositifs Nudge réellement efficients :

UNE EXPERTISE EN ÉTUDES COMPORTEMENTALES
Afin de pouvoir analyser, de façon rigoureuse, les contextes sur lesquels intervenir, de déterminer les leviers décisionnels aptes à modifier un comportement durablement, et d’en mesurer l’efficience.

UNE EXPERTISE EN COMMUNICATION
Recherche de concepts engageants, Direction Artistique, fabrication et mise en place des dispositifs… Notre forte culture Communication nous permet de maîtriser en interne les différentes étapes de création d’un Nudge.

L’agence Nudge Me est dirigée par Jean-Marc Badaroux.

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Profil LinkedIn de Jean-Marc Badaroux 👉 https://www.linkedin.com/in/nudgeme/

Site Web de l’agence Nudge Me 👉 https://www.nudgeme.fr/

 

pnl pour en finir

Pour en finir avec la PNL

pnl pour en finir

 

La Programmation Neuro-Linguistique (PNL) connait actuellement un essor considérable en France. La PNL est une pratique qui théorise et articule nos modes personnels de communication et les modes de pensée et de fonctionnement de notre cerveau. Son ambition avouée est d’utiliser les connaissances des neurosciences afin d’améliorer les pratiques de communication et de réalisation de soi. Alors la PNL, discipline scientifique légitime ou pseudoscience à la mode ?

 

Temps de lecture : ~9 minutes.

 

Je suis un scientifique, ancien chercheur, spécialiste des sciences comportementales. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, l’une des premières réactions de beaucoup d’interlocuteurs lorsque je me présente en réunion professionnelle est « Les sciences comportementales  ? Super ! comme la PNL par exemple ?? ».

 

S’en suit une délicate hésitation pour moi. Je peux expliquer diplomatiquement qu’en tant que scientifique, je me base sur d’autres concepts et théories dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée. Je peux aussi passer pour le rabat-joie de service en expliquant que la PNL n’a rien de scientifique et que la seule chose qui ait été prouvée est son inefficacité. Autant briser le suspense dès maintenant… On peut parfaitement à la fois être un scientifique diplomate et passer pour un rabat-joie. Je dirais même que l’un survient rarement sans l’autre !

 

Si dans l’esprit des scientifiques, faire le procès de la PNL est ainsi que frapper un âne mort, la chose est toute différente pour le public. Il faut réellement être immergé dans les milieux professionnels, l’entrepreneuriat, la formation, le conseil, pour se rendre compte de la vague submersive. À la fois des pseudosciences et de la PNL. Congrès dédiés, titres de maîtres praticiens, fédérations, formations spécifiques, la PNL est partout.

 

Dans une France où les gens communiquent de plus en plus mal, est-ce si étonnant que les directions d’entreprise voient comme le messie des techniques qui promettent d’établir un dialogue et une coopération efficace ? Et dans un cadre bienveillant s’il vous plait ! Alors quoi ? Ai-je loupé l’innovation du siècle ?

 

Il faudrait bien un livre entier pour expliquer le développement de la PNL et de sa popularité, pour démontrer son caractère pseudoscientifique, argumenter que dans une société en perte de repères spirituels elle représente le fer de lance des pseudosciences, et en parallèle insister sur le succès du développement personnel dans une société française de plus en plus libérale (voir “La dictature de l’ego” de Matthias Roux). Ce n’est pas l’objet de ce post. Nous allons ici seulement analyser la PNL au double spectre de l’objectivité et de la pertinence.

 

 

LA PNL & SES APPLICATIONS

 

La PNL est un concept que l’on pourrait qualifier de new-age dont l’objet principal est de mettre en relation les représentations mentales, le langage, la mémoire, les idées et les comportements. La PNL a ainsi créé des passerelles entre toutes ces facettes pour les combiner et assister des objectifs de performance, qu’ils soient personnels, sportifs, thérapeutiques.

 

L’un de ses principes phares est celui des mouvements oculaires. Lorsqu’un sujet est soumis à certaines questions précises, les mouvements oculaires qu’il produit seraient caractéristiques des préférences du sujet en termes de systèmes de représentation, de perception, d’utilisation et de mémorisation de l’information (voir ci-dessous). L’on pourrait ensuite ajuster la communication envers différentes personnes de manière individualisée afin de se conformer à leurs canaux de communication préférentiels. Le but ultime étant d’améliorer la coopération au sein d’une équipe, d’améliorer les performances individuelles ou de rendre la thérapie de patients plus efficace.

 

 

PNL pour en finir

 

 

Afin de rentrer dans le vif du sujet et de comprendre les champs d’application de la PNL, voici un court reportage qui nous explique comment Florent Manaudou, champion de natation, a conquis l’or olympique grâce à la PNL.

 

 

 

 

PSEUDOSCIENCES EN TOUS GENRES

 

L’exemple de Manaudou n’est ni anodin ni une goutte d’eau dans un océan de bonnes pratiques. Les exemples de techniques new-age dans le milieu sportif ne manquent pas. On se souvient de l’élimination fracassante de Christine Arron en demi-finale du 100m. aux JO d’Athènes en 2004. Et du scandale qui s’en suivit à propos de la psychothérapeute énergéticienne Fanny Didot-Abadi avec qui elle cessa immédiatement toute collaboration. On apprend même que cette psycho-énergéticienne travaillait sur les ondes dans le stade où son athlète allait concourir et déposait de la poudre sur la ligne de départ…

 

Dans les années 90, l’équipe nationale de football d’Angleterre a fait appel à une guérisseuse, Eileen, avec des techniques surprenantes, délicieusement rapportées par l’enfant terrible Paul « Gazza » Gascoigne : « Eileen a mis sa main sur ma tête, a marmonné des petites phrases, avant d’énoncer doctement que j’avais beaucoup de mauvais esprits dans la tête. Elle m’a expliqué qu’ils se répandaient désormais dans ma maison. Elle a ouvert la fenêtre pour les faire sortir ».

 

Lors des mondiaux 2019 à Doha, la Fédération Française d’Athlétisme a peu apprécié la présence d’un hypnotiseur dans l’hôtel des Français, dont une séance filmée s’est retrouvé illico presto sur les réseaux sociaux.

 

Mais bref, on s’éloigne un peu du sujet de la PNL, même si les promoteurs du développement personnel sont souvent multicartes…

 

 

LE PROCÈS DES PSEUDOSCIENCES

 

Les critiques adressées à la PNL sont les mêmes que celles habituellement formulées envers les pseudosciences. On lui reproche d’utiliser des concepts scientifiques, de les amalgamer par des combinaisons qui ne sont ni logiques ni justifiées par la théorie ou l’expérience. Pour reprendre l’exemple de Manaudou : l’utilisation d’un mot-clé (langage) permet à l’athlète de se remémorer une performance (mémoire), ce qui génère une émotion et un sentiment positif (représentation/état mental). Et paf ! Par un tour de passe-passe injustifiable çà fait médaille d’or ! La PNL ne s’embête pas de circonvolutions superflues : « il suffit de le vouloir pour le pouvoir ! ».

 

Le plus gros reproche que l’on pourrait adresser à la PNL est de chercher des solutions à des problèmes dont la psychologie académique a depuis longtemps, et de manière fiable et démontrée, apporté des réponses. La PNL ignore délibérément la psychologie académique, et c’est un procédé plus que douteux pour une discipline qui prétend apporter un savoir et des techniques fonctionnelles. Le fonctionnel est dans le rationnel, la PNL est dans l’irrationnel.

 

 

PNL pour en finir

 

 

Dans l’exemple de Manaudou, les psychologues mettraient certainement en avant la dimension psychologique de self-efficacy (efficacité personnelle), qui décrit la croyance personnelle en sa capacité à réaliser une tâche. C’est une variable prédictive de la performance dans beaucoup de domaines. Et elle a aussi le mérite, à l’inverse de la PNL, de faire l’économie de la combinaison d’un ensemble de concepts qui n’a de valeur qu’au niveau métaphorique… Mais la PNL ne se soucie pas toujours non plus d’être parcimonieuse.

 

Mais je me disperse. Après tout, je ne me pose pas en scientiste, chacun a droit à sa méthode personnelle pour relever ses défis quotidiens. Alors devrais-je faire confiance à mon maître praticien certifié en PNL ? Est-il efficace pour m’aider à réaliser mes challenges ? Surmonter des épreuves ? Il existe une méthode pour déterminer si une intervention (ici des sessions de PNL) a un effet sur des comportements ou une performance. Il s’agit de la méthode scientifique expérimentale. Elle a l’avantage d’apporter des réponses claires sur la réalité d’un phénomène. En gros si l’on a raison de croire ce que l’on croit. Alors plongeons-nous dans les études !

 

 

CE QUE DISENT LES ÉTUDES

 

L’une des applications préférées de la PNL est le coaching. Coaching personnel, coaching mental… la PNL est devenu l’avatar du développement personnel. Dans une revue de 20191, deux chercheurs britanniques dressent un constat édifiant. Parmi 40 études recensées dans la littérature scientifique traitant de la PNL et du coaching, plus de la moitié concerne des papiers conceptuels, ou des revues. Et parmi l’ensemble des études restantes, seulement deux sont quantitatives (c’est-à-dire procèdent à des mesures chiffrées), sept sont qualitatives et présentent des cas d’études relevant plus de l’anecdote. Les auteurs en concluent que les preuves de l’efficacité de la PNL dans le coaching sont quasi-inexistantes.

 

 

Les preuves de l’efficacité de la PNL dans le coaching sont quasi-inexistantes Cliquez pour tweeter

 

 

Dans une analyse systématique de la littérature portant sur 63 articles scientifiques2, Tomasz Witkowski a classé des études en 2 groupes. D’un côté, celles démontrant un effet positif d’une technique de la PNL sur différentes mesures comme l’anxiété, la sensation de contrôle, le traitement d’un syndrome de stress post-traumatique. De l’autre, celles ne montrant aucun effet. Witkowski a ensuite comparé la qualité méthodologique des études entre les deux groupes. Les ¾ des études analysées ne trouvaient aucune preuve de l’efficacité de la méthode PNL. Dans le quart restant, les études trouvant un effet positif de la PNL souffraient de défauts méthodologiques plus importants que celles du groupe ne trouvant aucun effet, comme l’absence de groupe contrôle et un plus faible nombre de variables et d’indicateurs mesurés.

 

Une analyse fine des caractéristiques de la PNL, peut, suivant une méthode historico-sociologique, apporter quelques éclaircissements. D’après Richard Bailey et ses collaborateurs3, la PNL coche toutes les cases des caractéristiques des pseudosciences. À croire qu’elle en aurait servi d’étalon ! En voici la liste : l’absence d’auto-correction, l’abus de tactiques de protection ad hoc pour se protéger de la réfutation, le caractère infalsifiable, l’absence de connectivité avec d’autres domaines de connaissance, l’utilisation inutile d’un langage peu clair, l’évitement d’une réelle évaluation critique par les pairs, l’accent mis sur la confirmation plutôt que la réfutation, et surtout une sur-dépendance aux anecdotes et aux témoignages plutôt qu’aux preuves systématiques. Une liste de chefs d’accusation à faire pâlir Al Capone !

 

 

La PNL coche toutes les cases des caractéristiques des pseudosciences Cliquez pour tweeter

 

 

Mais je me disperse encore ! Après tout, n’est-ce pas qu’un procès d’intention que l’on dresse à la PNL ? OK, elle a un méchant arrière-goût de pseudoscience. Mais le propre du scientifique n’est-il pas de douter et d’adopter une perspective objective sur des questions concrètes ? Plongeons-nous maintenant dans les chiffres !

 

 

LA VÉRITÉ SUR L’EFFICACITÉ OBJECTIVE DE LA PNL

 

Tout d’abord, on serait en droit d’attendre que les preuves de l’efficacité de la PNL abondent dans un monde où elle a une telle notoriété. À l’inverse, pour la plupart des études un minimum quantitatives, la description des conditions expérimentales est tellement pauvre qu’il est difficile d’en tirer des interprétations claires.

 

Heureusement, dans la littérature scientifique il existe des articles, publiés par des scientifiques et évalués par les pairs, qui résument un pan entier de la littérature sur un sujet, ou qui réalisent même des analyses statistiques globales à partir de toutes les études existantes afin de rendre compte de la validité d’une hypothèse. Ces études sont appelées revues ou méta-analyses. Quoi de mieux pour déterminer une fois pour toutes si le succès de la PNL relève d’une efficacité mesurée et vérifiée ou d’une pseudoscience lucrative à la mode.

 

 

PNL pour en finir

 

 

Dans une méta-analyse conduite en 20124, une équipe de chercheurs britanniques a compilé des études testant l’impact d’interventions de PNL sur des objectifs de santé, comme la réduction de l’anxiété, la limitation de la prise de poids, la réduction de la claustrophobie, la réduction de la prise de substances illégales… Parmi les 93 études publiées recensées, seulement 5 étaient des études observationnelles longitudinales. Ce type d’étude propose de mesurer l’état du patient avant et après intervention PNL. Enfin, seulement 5 études parmi les 93 étaient des expérimentations randomisées contrôlées (RCTs). Cette méthodologie est le top de la démarche expérimentale car le protocole inclut un groupe contrôle sur lequel aucune intervention n’est réalisée. Il permet donc de certifier que c’est bien l’intervention, appliquée à un second groupe, qui est responsable, au moins en partie, de l’évolution des patients.

 

Les résultats de l’analyse sont peu glorieux pour les interventions de PNL. Sur les 5 études RCTs, une seule trouve une réduction de l’anxiété dans le groupe ayant subit l’intervention PNL. Ce qui veut dire que 4 études sur les 5 montrent que l’intervention PNL n’a eu aucun effet sur les patients ! De plus, dans 3 études RCTs sur 5, les patients montraient dans chaque groupe (contrôle et expérimental) une évolution de leur condition. Cela veut dire que l’état des patients évoluait de toute façon AVEC OU SANS intervention PNL, mettant en évidence un fort phénomène de type « placebo ».

 

 

Après environ 60 ans d’existence, on ne trouve toujours aucune trace de l'efficacité de la PNL Cliquez pour tweeter

 

 

La conclusion issue de cet ensemble d’études est claire. Si la question de l’utilité de la PNL reste au mieux en suspens, le minimum serait de s’abstenir de recommander ces techniques ou de les présenter comme une solution objective et fiable aux problèmes qu’elle prétend résoudre. Après environ 60 ans d’existence, on ne trouve toujours aucune trace de son efficacité. Réussir à se maintenir 60 ans en proposant du vent, cela révèle la croyance et la foi qu’elle génère. Soit, chacun est libre de croire ce que bon lui semble. Mais est-il moral et honnête de mentir sur ses bénéfices en se parant des atours rigoureux de la science expérimentale ?

 

C’est bien là l’une des plus grosses critiques que l’on peut adresser à la PNL. Comme beaucoup de pseudosciences, elle se sert d’un vocabulaire et de tournures scientifiques afin de bénéficier du prestige intellectuel de la science. C’est d’autant plus malhonnête que cette discipline se soumet peu à la vérification expérimentale objective. Et lorsque c’est le cas, le constat est accablant pour elle.

 

 

CHARLATANISME & DIFFUSION DU SAVOIR

 

Il est un point qui étonne souvent mes interlocuteurs adeptes du développement personnel. La PNL est classée par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) comme une dérive sectaire. Sous-entendu, la PNL représenterait un concept dont la portée et les objectifs, déclarés ou non, consisteraient en une manipulation malveillante d’un public à des fins qui sont contraires à ses intérêts. Il faut que notre conscience collective et citoyenne soit tombée assez bas pour promouvoir une discipline dont la malveillance et le manque d’objectivité sont publiquement reconnus. Bien bas pour que la PNL ait pignon sur rue lorsque des alternatives scientifiques, objectives et efficaces n’ait droit de cité que dans le milieu clos des laboratoires académiques et des congrès d’experts.

 

PNL pour en finir

Le premier constat à dresser du succès de la PNL et autres pseudosciences est celui de l’échec de la diffusion du savoir scientifique et de la confiance dans la démarche scientifique. Le relativisme culturel a fait de tels ravages qu’il est souvent considéré aussi valide d’utiliser des preuves expérimentales objectives que de lire dans des entrailles de corbeaux morts à la pleine lune. Avec une petite défiance pour la première solution toutefois…

 

J’ai conseillé il y a peu de temps à un ami français féru de nature de visionner les documentaires « Planet Earth » de la BBC présentés par David Attenborough. La comparaison avec ce que l’on nous diffuse en France est-elle seulement nécessaire et opportune ? De toute manière, je serais incapable de citer un documentaire scientifique de qualité diffusé sur les chaînes françaises. « C’est pas sorcier » est certainement la dernière émission de qualité à avoir été présentée en France. Sa diffusion a stoppé en 2014. Mi-2019, la BBC annonce à grands roulements de tambours ses nouveaux documentaires « Seven worlds, one planet »… Bref, si la diffusion du savoir scientifique était faite de manière correcte en France et soutenue par les décideurs politiques, on saurait ce que nos chercheurs font dans leurs laboratoires. Et par voie de conséquence, l’utilité de leurs recherches, visible et correctement expliquée, proposerait une alternative crédible aux pseudosciences dont les organisations publiques et privées sont si friandes.

 

 

PARESSE INTELLECTUELLE & LETHARGIE DU MILIEU ACADÉMIQUE

 

Fort de tous ces constats accablants (inefficacité, tromperie…) que faire ? Blâmer le manque d’exigence intellectuel des promoteurs de la PNL dans une société française où la culture scientifique générale est pauvre ? Dénoncer le caractère charlatanesque de leur pratique qui vend du mensonge sous forme de science ? Jeter la pierre à un public professionnel prêt à avaler n’importe quel discours, du moment qu’il est bien emballé et payé par les comptes professionnels de formation ? Secouer ces universitaires qui, englués dans la compétition perpétuelle de la course à la publication, se moquent de la montée du relativisme culturel hors des murs de leurs laboratoires et qu’ils ne voient même pas ?

 

Un peu de tout sans doute… Voici même très certainement la combinaison gagnante… Soit l’on se satisfait d’une situation où un petit nombre tire profit d’une pseudoscience commerciale, où l’on se moque de l’efficacité et des conséquences des savoirs et pratiques utilisés dans la formation et l’accompagnement professionnel, où l’on érige la montée du relativisme culturel et du recours aux pseudosciences comme une fatalité. Soit l’on se paye l’effort d’affirmer la nécessité de la valeur (surannée ?) d’exigence intellectuelle, que d’aucuns déclareront réactionnaire, et d’expliquer que oui, certaines méthodes sont bonnes et efficaces, et d’autres ne le sont pas.

 

1Passmore & Rawson (2019) Neuro-linguistic programming: a review of NLP research and the application of NLP in coaching. International Coaching Psychology Review, 14, 57.

2Witkowski (2010) Thirty-five years of research on neuro-linguistic programming. NLP research data base. State of the art or pseudoscientific decoration? Polish Psychology Bulletin, 41, 58.

3Bailey et al. (2018) The prevalence of pseudoscientific ideas and neuromyths among sports coaches. Frontiers in Psychology, 9, 641.

4Sturt et al. (2012) Neurolinguistic programming: a systematic review of the effects on health outcomes. British Journal of General Practice, e757.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

 

photo ville nuit

Smart City & Nudges : deux faces de la même médaille ?

 

photo ville nuitS’il existait un palmarès des thématiques en vogue actuellement dans le registre de l’innovation, la Smart City et les nudges y figureraient en bonne place. Étonnamment, aucun rapprochement, qu’il soit théorique ou technique, n’a encore été envisagé pour ces deux concepts. C’est le but de ce post de montrer comment et pourquoi Smart City, nudges et sciences comportementales vont collaborer dans un futur proche.

 

QU’EST-CE QUE LA SMART CITY ?

 

Le concept de Smart City, bien qu’encore relativement inconnu du grand public, connait un intérêt fulgurant au niveau mondial. À une époque où l’urbanisation et le taux d’urbains ne fait globalement que croître (plus de 50% d’urbains au niveau mondial, 77% au niveau européen1), se pose la question de maintenir en un espace réduit une population toujours plus nombreuse. Le défi que représente cette énigme géo-démographique tient du maintien de la qualité de vie du citoyen et de l’utilisation raisonnée, écologique et durable de l’environnement et des énergies. Enfin, le progrès technologique lié aux mesures en temps réel, à l’intelligence artificielle, aux objets connectés et au « Big Data », vient apporter une nouvelle dimension à ce challenge en fournissant le réseau d’informations à partir duquel des décisions peuvent être prises.

 

Ajuster la disponibilité des transports publics à l’affluence mesurée en temps réel, optimiser le tri, la collecte et le recyclage des déchets, centraliser les services d’action des municipalités pour une meilleure efficacité, favoriser la production et l’utilisation d’une énergie renouvelable, améliorer la coexistence de différents types de transports sur les routes… Voilà autant de défis que propose de relever la Smart City dont les traductions en français sont en conséquence multiples : ville durable, ville intelligente, ville citoyenne…

 

 

La ville du XXIème siècle devra se construire autour des habitudes des citoyens, de leurs comportements et de leurs besoins Cliquez pour tweeter

 

image profil ville

 

En la matière, des villes françaises comme Dijon sont devenues pionnières2. Denver, aux États-Unis, a également construit un projet de Smart City autour de la maîtrise et de la gestion des énergies et de l’optimisation de la circulation routière3. Ces projets centralisateurs et consommateurs de données numériques sont maintenant réalisables grâce à la collecte, au transport et à l’utilisation des données obtenues auprès d’autant de capteurs et systèmes connectés.

 

L’USAGER AU CŒUR DU SYSTÈME

 

De l’aveu même des promoteurs de la Smart City, c’est donc bien le comportement et les habitudes des usagers qui sont au centre de l’attention4. La Smart City et les territoires intelligents se développent par eux et pour eux. La ville du XXIème siècle devra se construire autour des habitudes des citoyens, de leurs comportements et de leurs besoins. La Smart City se veut démocratique ! Au-delà de l’enjeu technologique se posent ainsi deux défis plus subtils et facétieux que sont 1) connaître l’usager, sa psychologie et ses attentes pour répondre adéquatement à ses exigences, et 2) réciproquement, pour que l’usager réponde aux exigences de la Smart City, savoir le guider vers de nouvelles habitudes.

 

 

Communiquer n’est pas influencer, proposer n’est pas persuader Cliquez pour tweeter

 

NUDGES & SCIENCES COMPORTEMENTALES : UN RÔLE DÉCISIF

 

photo main globe réseauConnaître le comportement des citoyens est une chose, les faire adhérer à de nouvelles habitudes en est une autre. Les multiples campagnes de communication vouées à l’échec le prouvent au quotidien5,6. La naïveté et l’inaptitude des communicants à anticiper la psychologie et le comportement des usagers résultent en la réalisation de projets publics que les usagers vont ignorer ou auxquels ils ne vont pas adhérer7. Communiquer n’est pas influencer, proposer n’est pas persuader. Et pourtant, la communication représente la rampe de lancement des projets liés aux Smart Cities. Il ne suffit pas de proposer des bornes de tri des déchets pour que les citoyens les utilisent. Il ne suffit pas non plus de leur demander d’économiser l’eau en période de sécheresse ou l’électricité en période de forte demande pour que ces recommandations soient suivies. La Smart City peut optimiser nos modes de vie collectifs si et seulement si les usagers se comportent de manière à rendre cette optimisation possible. Sans adhésion ni engagement des usagers, point de salut pour la City, aussi Smart soit-elle !

 

L’objectif des Smart Cities est par essence de promouvoir l’intérêt collectif. Toute la question réside dans la manière de traduire cet intérêt collectif en motivations et intérêts individuels touchant directement les usagers. Sans cela, les nouvelles pratiques promues par la Smart City n’entreront pas dans les usages des citoyens. L’enjeu consiste à persuader les usagers de modifier leurs habitudes et d’adopter de nouvelles pratiques, en associant l’ergonomie de la Smart City à la psychologie des usagers.

 

FAVORISER L’ADHÉSION & L’ENGAGEMENT DES USAGERS

 

Bonne nouvelle, les sciences comportementales apportent nombre de solutions destinées à agir efficacement sur les comportements. Que l’on utilise les nudges, la communication stratégique, les architectures de décision ou des interventions plus classiques de psychologie sociale, les sciences comportementales offrent de nombreuses techniques permettant de susciter l’adhésion à de nouvelles normes et de nouvelles habitudes. Sans grande surprise, ces techniques sont largement sous-utilisées à l’heure actuelle par des communicants ne se souciant principalement que de la forme des messages adressés aux citoyens (voir encart ci-dessous). Les enjeux des Smart Cities sont pourtant trop importants pour que leur développement soit conduit sans placer la psychologie des usagers au centre des réflexions. Motiver les citoyens à s’engager dans de nouveaux usages est une démarche subtile qui mérite l’apport fiable et efficace des sciences comportementales.

 

exemples stop aux déchets

Encart : Conséquences de différents messages hypothétiques d’une campagne pour lutter contre les déchets jetés sur les autoroutes par les automobilistes (Dijon, 2018)

 

En 2014, on dénombrait 51 pays dont les gouvernements s’étaient emparés des sciences comportementales et des nudges afin de guider la mise en place d’initiatives publiques. En France par exemple, la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) place les sciences comportementales comme une voie d’avenir pour booster l’innovation publique et sociétale8,9.

 

Le recul existe et le contexte est maintenant favorable aux Smart Cities et autres territoires intelligents pour profiter de la puissance des sciences comportementales et rencontrer un succès indispensable auprès des citoyens. Le caractère « Smart » des nouvelles « Cities » se prouvera en premier lieu par l’exigence de leurs promoteurs de recourir au savoir fiable et éprouvé des sciences comportementales : une prise de conscience essentielle pour associer les citoyens et usagers aux défis urbains du XXIème siècle.

 

1 https://www.latribune.fr/regions/smart-cities/20150220trib477e7a234/pourquoi-il-faut-aller-au-dela-de-la-ville-intelligente.html

2 https://www.lemonde.fr/la-france-connectee/article/2018/03/14/dijon-premiere-smart-city-de-france_5270728_4978494.html

3 https://www.lci.fr/high-tech/smart-city-de-denver-a-dijon-ces-projets-pour-une-ville-plus-intelligente-et-ecolo-2077908.html

4 https://atelier.bnpparibas/smart-city/article/d-une-smart-city-engaged-city

5 http://cabinet-analytica.fr/le-flop-des-campagnes-de-communication/

6 http://cabinet-analytica.fr/flop-campagnes-communication-le-retour/

7 http://cabinet-analytica.fr/9-effets-psychologiques-qui-ruinent-campagne-communication/

8 http://www.modernisation.gouv.fr/laction-publique-se-transforme/thomas-cazenave-sciences-comportementales-et-politiques-publiques-inciter-plutot-que-contraindre

9 http://www.modernisation.gouv.fr/en/node/198853

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

couverture livre JM Servet

Commentaires sur “L’économie comportementale en question” de Jean-Michel Servet

 

couverture livre JM Servet

 

Je suis tombé il y a peu sur l’ouvrage « L’économie comportementale en question » de Jean-Michel Servet, paru en avril 2018. Domaine à la mode pour certains, révolutionnaire pour d’autres, je me le suis procuré pour découvrir les arguments de l’un des seuls auteurs francophones sur le sujet et en faire une « rapide » évaluation critique.

 

 

 

Avant d’entamer le voyage, si vous souhaitez un petit rappel sur l’économie comportementale, vous pouvez consulter deux de mes précédents articles :

Sur les nudges : http://cabinet-analytica.fr/les-nudges-quest-ce-que-cest/

Sur l’économie comportementale de manière générale : http://cabinet-analytica.fr/prix-nobel-2017-quest-leconomie-comportementale/

 

Photo de Jean-Michel Servet

Jean-Michel Servet

Pour situer l’auteur, Jean-Michel Servet est un économiste spécialiste du développement, ancien chercheur à l’Institut Universitaire d’Études du Développement de Genève et enseignant dans des structures Françaises et Suisse. Pour plus d’informations sur ce monsieur : http://graduateinstitute.ch/fr/annuary/_/people/servet

 

Pour aller droit au but, les principales critiques que JM Servet adresse à l’économie comportementale tiennent en quatre points :

 

  •  L’avènement de son hégémonie dans le domaine des sciences économiques, en termes de concept, d’accaparement des fonds et de recrutement,
  • La faiblesse des démarches expérimentales de type RCT (Randomized Controlled Trials)1 pour une discipline qui se veut empirique, historique, et qualitative,
  • en découlant, le manque de contextualisation des économistes comportementalistes de leurs résultats et de leur découvertes, avec notamment une trop forte propension à insister sur la p-value plutôt que sur la taille de l’effet,
  • l’utilisation des recherches en économie comportementale pour la promotion de mesures néolibérales.

 

 

QUELLE ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE ?

Quelques commentaires donc, aussi brefs que possible, sur ces critiques : tout d’abord il semble que le terme d’économie comportementale fasse preuve d’une grande ambiguïté actuellement. L’économie comportementale, qui propose d’étudier et d’anticiper les décisions économiques de leurs agents à la lumière de leur comportement, est la discipline à la base des fameux nudges, ou coups de pouce. Ces nudges consistent à court-circuiter les biais cognitifs dont citoyens et usagers font preuve lorsqu’ils prennent des décisions. Le nudge, pourtant promu par des économistes comportementalistes, ressemble alors plus à un outil de psychologues sociaux destiné à changer les comportements. Il en découle que rien n’est moins bien défini qu’un nudge. Une architecture de choix destinée à engager des salariés dans le choix de cotisations retraite profitables sur le long terme en est un. Des dents de monstre dessinées de chaque côté d’une porte d’une voiture de RER en est prétendument un également… (voir ici). Il en ressort que les nudges semblent avoir dépassés leurs créateurs pour désigner n’importe quelle situation dans

prix nobel 2017

Article de blog : “Prix Nobel 2017 : qu’est-ce que l’économie comportementale ?”

laquelle on tente d’influencer autrui en jouant sur l’environnement de décision. Les critiques formulées par JM Servet dans son livre ne semble se focaliser que sur la résolution de questions de sciences économiques par les économistes comportementalistes, comme le micro-crédit ou la promotion de l’épargne dans les pays pauvres. Jean-Michel Servet aborde très peu l’intérêt des nudges et des sciences comportementales pour des problématiques liées aux usages et habitudes des citoyens en dehors de la sphère financière. Et pour cause, JM Servet est économiste et dénonce l’accaparement des sciences économiques par les économistes comportementalistes. En conclusion, et de manière factuelle, la critique de JM Servet concerne principalement l’implication des économistes comportementalistes dans des questions d’économie financière. Il est très peu évoqué le rôle des nudges et des biais cognitifs pour d’autres disciplines, comme la psychologie sociale. Jean-Michel Servet reste ainsi discret sur l’application des principes d’économie comportementale à ces disciplines (voir toutefois « Les autres disciplines accessoirisées » page 124 ou « Quand l’économie comportementaliste fait son marché en psychologie » page 129).

 

 

LE MANQUE DE CONTEXTUALISATION

D’un point de vue technique, le manque de contextualisation des recherches des économistes comportementalistes ne concernent malheureusement pas que cette discipline, mais est un problème inhérent à la recherche scientifique, où le degré d’expertise de chaque discipline et courant n’a jamais été aussi fort. Si ce reproche n’est pas exclusif à la discipline de l’économie comportementale et est explicable, on peut aisément considérer que le manque de communication entre les économistes comportementalistes et les économistes traditionnels, dénoncé par l’auteur, ne reflète effectivement pas un processus sain de développement de la discipline et ne peut être que contre-productif.

 

 

LES STATISTIQUES AU CŒUR DE LA CRITIQUE

couverture de Nudge

Lien vers l’article de blog “Les nudges, qu’est-ce que c’est ?”

Jean-Michel Servet insiste sur l’importance des critères historiques et culturels dans la compréhension des pratiques économiques locales et la mise en place de politiques adaptées. On ne peut qu’être d’accord avec çà. Les RCTs restent toutefois à mon avis les méthodes expérimentales les plus abouties pour identifier le rôle et l’importance d’un facteur, d’une variable, dans un phénomène d’ordre causal (en calculant par exemple un coefficient de détermination1). Jean-Michel Servet critique le fait que les RCTs ne sont capables d’identifier des facteurs causaux qu’à l’échelle de la population, c’est-à-dire là où la moyenne des échantillons va différer entre groupes contrôles et groupes expérimentaux. C’est effectivement l’objet des expérimentations scientifiques que d’arriver de manière graduelle à l’identification des facteurs impliqués dans un processus. Et si celles-ci ne sont pas capables de rendre compte des détails de l’intégralité d’un mécanisme, notamment au niveau inter-individuel, alors plus d’expérimentations peuvent être nécessaire, notamment en segmentant les échantillons initiaux. Les statistiques à la base des expérimentations scientifiques rendent compte de moyennes, ou médianes, calculées sur des groupes d’individus, et c’est un mauvais procès qui leur est fait de dénoncer cela. En effet, aussi imparfaite que cette méthode puisse être perçue, aucune autre n’est aujourd’hui plus puissante pour expliquer avec certitude la source causale de phénomènes.

 

 

RÉCONCILIER QUANTITATIF & QUALITATIF

Au-delà du tout RCT ou du tout qualitatif, c’est justement en associant RCTs et recherches historiques, culturelles, anthropologiques, qualitatives que l’on peut espérer comprendre au maximum les phénomènes et prendre des dispositions appropriées afin d’agir sur les comportements. Une critique totale des RCTs me paraitrait ainsi excessive. Aussi, et c’est là où les tailles d’effet ont leur importance, ce n’est pas parce qu’une action a une influence statistiquement significative sur les comportements que son rôle est important. Encore faut-il déterminer la part de variation du comportement observé que l’on peut expliquer avec notre facteur explicatif. Si le coefficient de détermination (R²) est faible (et les tailles d’effet des études d’économie comportementale sont souvent très faibles), peu importe que son action soit statistiquement significative, ce facteur ne représente certainement pas un levier d’action pertinent pour agir sur les comportements.

 

 

PROMOUVOIR LE NÉOLIBÉRALISME

Enfin, JM Servet accuse l’économie comportementale de « servir la soupe » du néolibéralisme. Alors qu’elle pourrait contribuer à identifier des politiques globales susceptibles d’affecter des variables économiques, comme la pauvreté, elle se ferait plutôt la caution scientifique et expérimentale de décisions prises à l’aune d’une idéologie : le néolibéralisme. Cette perspective fait référence au paternalisme libertarien que bien des chercheurs de cette discipline critique de manière légitime2. Les recherches des économistes comportementalistes considèrent que les citoyens n’agissent pas de manière rationnelle au niveau économique (rationnel du point de vue néolibéral de la propriété et de la libre concurrence). Ces citoyens devraient ainsi voir leurs comportements corrigés pour améliorer leur condition. C’est un point de vue effectivement très paternaliste dont la finalité consiste, de manière objective, à canaliser les libertés individuelles de manière à correspondre à un idéal néolibéral occidental, dans son idéologie et son fonctionnement. L’absence de contextualisation culturelle empêche ici de considérer que les habitudes observées puissent correspondre à des particularités optimales au niveau local (on parlerait

 

“Les économistes comportementalistes ont-ils intérêt à mordre la main qui les nourrit ?”

 

d’adaptation locale en biologie évolutive) qui sont réellement rationnelles. L’approche de l’économie comportementale consiste seulement à considérer que si les populations-cibles ne se comportent pas de la manière que le néolibéralisme considère comme rationnelle, c’est que ces populations sont victimes de biais cognitifs. Dans le cas de l’épargne, c’est parce que les populations pauvres se comporteraient de manière court-termiste que toute tentative de développement de l’épargne et de la monnaie dématérialisée serait vouée à l’échec. L’importance de la culture, des particularités et de la rationalité locales reste très peu envisagée. Les propos de JM Servet qui consiste à dénoncer la préemption de l’économie comportementale par les gouvernements occidentaux néolibéraux (USA, UK , France et autres…) semblent convaincants. Les présupposés des recherches des économistes comportementalistes relèvent du paternalisme libertarien et veulent uniformiser la gestion des finances des citoyens au sein des populations. Ceci pour une meilleure efficacité de la gestion collective. Il est aisé de voir dans ces démarches une réduction des libertés individuelles là où la prise en compte des préférences, des habitudes et de l’utilité différentielle des comportements de différents groupes de population conduirait à des actions de gestion et d’incitations mieux ciblées et moins contraignantes.

 

 

1ères CONCLUSIONS

En conclusion, les critiques de Servet envers l’économie comportementale nous paraissent justifiées à bien des égards, par exemple au niveau du manque de contextualisation des recherches. Les critiques portant sur le manque de prise de recul ou l’importance démesurée des p-values au détriment des tailles d’effet sont valables pour n’importe quelle discipline scientifique quantitative et nul doute que beaucoup d’efforts sont nécessaires à cet égard.

Toutefois, les critiques de JM Servet à destination des RCTs nous paraissent excessives car nous pensons qu’elles sont encore le moyen le plus performant pour déterminer le rôle causal d’un facteur dans un phénomène. L’approche hypothético-déductive (assimilable à l’approche abductive évoquée page 159) suppose toutefois que les hypothèses testées soient ajustées au fil des expériences, notamment par des considérations empiriques ou culturelles, ce qui est spécifiquement le reproche adressé par JM Servet à l’économie comportementale.

Quant aux liens entre économie comportementale et néolibéralisme, c’est effectivement un des postulats de ce courant idéologique dominant que de considérer la volonté et la motivation personnelles comme le moteur principal de tout changement (avec peu d’étonnement, on retrouve cette philosophie dans la mode des coaches en tout genre, notamment de développement personnel, si présents, si promus et si actifs…). C’est oublier le rôle des facteurs historiques, sociologiques, environnementaux ou sociaux sur les habitudes et les comportements. Il pourrait être opportun pour les économistes comportementalistes de discuter du bien-fondé des politiques financières sociétales que leurs travaux contribuent à mettre en place plutôt que de travailler de manière acharnée sur leurs applications. Cette démarche est, d’après JM Servet, l’apanage des économistes traditionnels, mais les économistes comportementalistes ont-ils intérêt à mordre la main qui les nourrit ?

 

 

CONCLUSION DES CONCLUSIONS

Les critiques adressées par Servet ne nous paraissent ainsi ni dénuée d’intérêt ni complètement à même de sonner le glas de l’approche de l’économie comportementale. La reprise de ses principes montre une efficacité avérée sur les comportements, notamment en psychologie sociale (mais la psychologie sociale a-t-elle besoin de l’économie comportementale, là où l’inverse est indéniable…). Encore faut-il sortir des très marketing nudges et adopter une posture plus pluridisciplinaire et fondée sur des théories et des concepts bien établis, tels que la théorie de l’engagement. Là aussi nous suivrons JM Servet lorsqu’il parle d’accessoirisation des disciplines proches. La psychologie sociale est effectivement utilisée à leur gré par les promoteurs du nudge, souvent de manière inappropriée et plus pour servir de caution scientifique qu’en s’intéressant vraiment aux détails conceptuels qui permettrait d’améliorer l’efficacité des campagnes de prévention ou de promotion des comportements (voir les dents de « monstres » dessinées sur les portes des RER…).

L’ouvrage de JM Servet représente ainsi un contre-poids certain à la mode de l’économie comportementale auquel tout scientifique digne de ce nom et concerné par le sujet devrait accorder une lecture attentive et objective. Si différents courants au sein d’une même discipline sont nécessaires à son développement, la communication entre ces courants est la condition sine qua non et saine pour générer des progrès conceptuels certains. Sans cela, c’est à une bataille de clochers permanente à laquelle il faut s’attendre, les savants redevenant après tout, comme le disait Bachelard, aussi subjectifs et bouffis d’ego que n’importe quel quidam une fois passée la porte de leur laboratoire…

 

1Les RCTs, ou Randomized Controlled Trials, sont des plans expérimentaux consistant à identifier de manière statistique l’influence causale d’une variable sur une autre. De manière générale, les RCTs consistent à mesurer une variable, telle que le taux d’épargne, sur deux groupes d’individus : un groupe auquel on applique la variable dont on suppose qu’elle exerce une influence sur le taux d’épargne, comme la dématérialisation de la monnaie, et un groupe contrôle, ressemblant sociologiquement et numériquement au premier, mais sur lequel aucune intervention spécifique n’est réalisée. Si les deux groupes diffèrent en moyenne et de manière statistiquement significative sur leur taux d’épargne, alors on pourra en conclure que la variable appliquée au premier groupe joue un rôle dont l’importance peut être numériquement estimée via un coefficient de détermination. L’utilisation de groupes placebo en médecine est l’illustration la plus commune du principe des RCTs.

2 Mols et al. (2014) Why a nudge is not enough: a social identity critique of governance by stealth. Eur. J. Polit. Res. 54, 81-98. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1475-6765.12073

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, les ventes, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

 

couverture de Nudge

Les nudges, qu’est-ce que c’est ?

 

Parmi les derniers nés des sciences comportementales, les nudges sont l’application de connaissances et techniques développées par l’économie comportementale au cours des 30 dernières années à des problématiques concrètes (surtout sociétales), dont le point culminant a été l’attribution du Prix Nobel d’économie à Richard Thaler en 2017. Voici à quoi ils correspondent…

 

 

Les nudges correspondent en français à des « coups de pouce », c’est-à-dire une manière douce d’agir sur les comportements. Les nudges doivent leur développement à des chercheurs en économie comportementale, comme Dan Kahneman ou Richard Thaler, tous deux prix Nobel d’économie, respectivement en 2002 et 2017. L’apport de l’économie comportementale a été de remettre en cause certains fondements de l’économie traditionnelle, comme par exemple celui qui consiste à penser que chaque personne prend toujours des décisions rationnelles dans le meilleur de ses intérêts et en toute connaissance de cause. Cette perspective considère que notre cerveau est omniscient et n’analyse que rarement de manière erronée les coûts et les bénéfices des options entre lesquelles il effectue des choix.

 

“Notre cerveau est victime de nombreux biais cognitifs”

 

L’économie comportementale a montré que notre cerveau est en fait victime de nombreux biais cognitifs, c’est-à-dire de mécanismes “non-rationnels” de traiter l’information. Ces biais de toutes sortes nous poussent à prendre des décisions qui ne sont pas toujours dans notre intérêt objectif, alors que le choix d’autres options nous serait plus profitable.

 

La mise en évidence de ces biais cognitifs a ainsi motivé les économistes du comportement à développer des techniques pour en quelque sorte prendre notre cerveau à son propre jeu. De là sont nés les nudges : puisque notre cerveau nous pousse à prendre des décisions contraires à nos intérêts, présentons-lui les données du problème de manière à favoriser le choix de l’option nous étant la plus profitable.

 

Par exemple, le biais de conformité nous rend plus susceptible d’adopter un comportement lorsque celui-ci est adopté par la majorité. Les économistes du comportement suggèrent ainsi de présenter un comportement comme suivi par une majorité afin de persuader le reste de s’y conformer. Cette solution est par exemple utilisée avec succès pour promouvoir les économies d’énergie, les comportements vertueux, la promotion de l’activité physique ou d’une alimentation saine, etc…

 

Le biais d’aversion à la perte désigne notre plus forte motivation psychologique à éviter de perdre du capital plutôt qu’à en gagner. Ce biais psychologique est par exemple largement utilisé pour encourager les comportements citoyens présentant un bénéfice à la collectivité ou des économies au niveau individuel.

 

En résumé, les nudges correspondent à des interventions, mises en situation, ou des ensembles de dispositifs mis en œuvre à une échelle large. Ces nudges sont établis afin de contourner les biais cognitifs dont font preuve nos cerveaux et de guider tout à chacun vers des prises de décision plus conformes à nos intérêts individuels ou collectifs.

 

Si vous désirez en savoir plus sur l’économie comportementale et les nudges, lisez notre article de blog dédié !

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et de meilleurs services dans différents domaines. ANALYTICA est le créateur de CogniSales, et du service de menu engineering nouvelle génération CogniMenu.

 

 

Fake News : leurs conséquences sur nos croyances et nos comportements

 

Les fake news, ou infox, sont devenues en quelques mois un sujet politique extrêmement populaire. Ces « fausses nouvelles » apportent typiquement de l’information discordante au sujet d’un phénomène. Comme notre cerveau collecte et interprète en continu l’information qui se présente à lui, la question de l’influence des fake news sur nos croyances et nos comportements est cruciale. C’est le sujet de l’étude que je commente aujourd’hui.

 

 

Nous vivons une époque de la crise du savoir : le relativisme ambiant, fort d’une ignorance criante du fonctionnement de la démarche scientifique, place le savoir objectif sur le même plan que l’opinion personnel ; l’autorité scientifique elle-même perd en crédibilité à cause de représentants indignes dans le feu de conflits d’intérêts [1,2] ; la perte d’influence du catholicisme laisse un besoin de foi que comblent à une vitesse impressionnante les pratiques new-age et ésotériques que l’on retrouve beaucoup sous le vocable de « développement personnel » [3-5] ; les revendications communautaires, défiant l’instruction universelle, défendent leurs propres références de connaissances et de savoir ; les réseaux sociaux, enfin, participent à la mise en avant et à la propagation de l’information dans l’immédiateté, sollicitant des réactions émotionnelles tout aussi rapides, et ne laissant que peu de place à la réflexion. Face à ce déluge d’influences, c’est un euphémisme que de déclarer ne pas savoir à quel saint se vouer !

 

Au milieu de ce gloubiboulga est apparu il y a peu le concept, popularisé par Donald Trump, de fake news, infox en français, désignant la divulgation d’informations erronées ou traitées de manière partiale. Ce phénomène ne semble pas historiquement nouveau [6]. L’utilisation de ce concept à des fins politiques démagogiques voire manipulatoires semblerait toutefois plus évident que la volonté réelle de rendre accessible au citoyen un savoir objectif de qualité [7]. J’en veux pour preuve la précipitation avec laquelle l’idée d’une loi contre les fake news est sortie du cerveau fécond d’Emmanuel Macron [8], ou l’auto-proclamation de certains organes de presse séparant eux-mêmes le bon grain de l’information fiable de l’ivraie de la fake news. [7,9]

 

Quoi qu’il en soit, les fake news sont typiquement invoquées par plusieurs parties s’accusant mutuellement d’en formuler, et s’écharpant soit sur la réalité d’une actualité, sur son importance ou sur son interprétation. À croire que la vérité objective est toujours aisément atteignable et que les nuances et opinions diverses ne peuvent être tolérées… Alors oui, il semble peu tenable en 2018 d’affirmer que la Terre est plate. Toutefois, beaucoup de débats, notamment liés aux disciplines des sciences humaines, peuvent difficilement être tranchés par des sacro-saints faits quantitatifs et objectifs. Et l’accusation de fake news de sortir du chapeau argumentaire d’une manière que Schopenhauer dans « L’art d’avoir toujours raison » n’aurait pas renié, l’anglicisme en moins. Le citoyen lambda est donc laissé avec une liste d’arguments, souvent contradictoires, à partir duquel il doit se forger une opinion.

 

La question de l’influence d’arguments discordants sur nos croyances et nos comportements est donc cruciale. C’est ce sujet qu’à étudié un chercheur japonais, Keiichi Kobayashi, dans un article (scientifique et objectif !) publié récemment dans la revue Journal of Applied Social Psychology. [10]

 

Le protocole de cette expérience était particulièrement simple et consistait à présenter à des participants des arguments en faveur et en défaveur d’un phénomène, puis à comparer leurs croyances vis-à-vis de ce phénomène avant et après présentation des arguments. Deux groupes étaient ainsi constitués. Dans le premier, il était donné aux participants deux courts textes : l’un prétendant que l’ingestion régulière de vitamine C diminuait l’incidence et la durée du rhume, chiffres à l’appui ; et l’autre au contraire argumentant que ces effets étaient au mieux très limités. Aux participants du deuxième groupe, il était donné le même texte sur l’inefficacité de la vitamine C, ainsi qu’un texte « neutre », décrivant simplement ses effets secondaires.

 

Le premier groupe avait donc à disposition des arguments discordants quant à l’effet de la vitamine C, et le deuxième groupe des arguments concordants. Quel ont été les conséquences de ces présentations sur les croyances et les comportements déclarés des participants ?

 

Les changements de croyances avant/après présentation des arguments étaient plus faibles dans le groupe à qui étaient présentés des arguments discordants que dans le second groupe. Les participants du groupe « arguments discordants » déclaraient également être moins enclins à ajuster leur prise future de vitamine C. Il semble donc que la lecture d’arguments contradictoires laisse nos croyances et nos comportements dans un statu quo relatif. Que vous ayez des a priori positifs ou négatifs quant aux effets thérapeutiques de la vitamine C importe peu. La lecture d’arguments contradictoires n’engage pas l’adhésion totale à l’un ou l’autre des arguments, mais instille un peu plus de doute et de modération. Au contraire, dans le second groupe auquel étaient présentés des arguments concordants en défaveur de l’action de la vitamine C, les croyances ont évolué dans la direction attendue de l’absence d’effets de la vitamine C, que les participants en aient des a priori positifs ou négatifs.

 

“Les fake news vont induire chez nous la perception qu’aucun consensus n’existe sur tel ou tel sujet”

 

Les résultats ne s’arrêtent pas là ! Kobayashi montre également que les changements de croyances dépendent du consensus perçu entre les experts à l’origine des arguments. Cela veut dire que le manque de consensus est en partie responsable du statu quo évoqué plus haut. L’absence de consensus entre experts ne renforcera pas vos croyances, mais rendra votre opinion plus modérée. Au contraire, plus de consensus dans une direction amènera le public à ajuster ses croyances et ses comportements en fonction.

 

Pour conclure, cette étude apporte un éclairage unique sur l’influence d’arguments discordants, caractéristiques du concept de fake news, sur les croyances et les comportements. Les fake news vont induire chez nous la perception qu’aucun consensus n’existe sur tel ou tel sujet. Cela générera une résistance à l’évolution de nos croyances et de nos comportements vers l’un ou l’autre des deux arguments opposés, et favorisera la modération et le statu quo.

 

 

“Les fake news vont donc avoir l’effet d’immiscer le doute dans l’esprit des citoyens et d’encourager le statu quo de leurs croyances”

 

Pour prendre un exemple récent, à la fois les promoteurs et les pourfendeurs des vaccins généralisés plurivalents accusent l’autre partie de fake news. Cette discordance a toutes les chances de ne pas polariser l’opinion du public vers l’une ou l’autre des parties : si vous croyez que ces vaccins sont de manière générale plutôt bénéfiques, vous continuerez à le croire, sans en être entièrement convaincu. Si au contraire vous pensez que leur généralisation est contestable, alors le manque de consensus perçu vous poussera plutôt à garder cette opinion, sans en être totalement persuadé. Les fake news vont donc avoir l’effet d’immiscer le doute dans l’esprit des citoyens et d’encourager le statu quo de leurs croyances, les rendant imperméables aux arguments des deux bords.

 

Ceci n’est toutefois pas une fatalité : Kobayashi montre aussi dans son étude que la qualité perçue des arguments affecte les changements de croyance. La modification des opinions et des comportements du public tournera ainsi en faveur de la partie qui avancera les arguments de meilleure qualité. Cela signifie que les pouvoirs publics devraient adopter un ton moins paternaliste et plus didactique afin d’agir sur les comportements [11], un gros chantier en perspective s’il en est…

 

Références :

[1] https://www.marianne.net/politique/conflit-d-interets-cette-decision-de-la-ministre-agnes-buzyn-qui-bien-fait-les-affaires-de

[2] https://www.20minutes.fr/france/392906-20100323-grippe-h1n1-roselyne-bachelot-expliquee-face-a-commission-enquete

[3] Bloom (2007) Religion is natural. Developmental Science, 10, 147-151.

[4] http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2904

[5] http://www.charlatans.info/pnl.shtml

[6] https://www.courrierinternational.com/article/histoire-les-fake-news-deja-lorigine-de-la-revolution-francaise

[7] https://monthlyreview.org/2017/07/01/fake-news-on-russia-and-other-official-enemies/

[8] https://www.marianne.net/politique/loi-contre-les-fake-news-pourquoi-macron-est-si-presse

[9] https://blogs.mediapart.fr/denis-dupre/blog/240817/l-inquisition-decodex-qui-vient-ruffin-l-index

[10] Kobayashi (2018) Effects of conflicting scientific arguments on belief change: argument evaluation and expert consensus perception as mediators. Journal of Applied Social Psychology, 1-11

[11] https://www.foodnavigator.com/Article/2018/02/23/Mistrust-of-science-holding-us-back-claims-Europe-food-chief?utm_source=newsletter_weekly&utm_medium=email&utm_campaign=From%2023-Feb-2018%20to%2002-Mar-2018&c=4npZpPmIUrw8yRxDfHdr516%2F6Ba%2BXwuB&p2=

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc… Morgan DAVID est le fondateur de Predicta Football, le 1er outil scientifique d’identification des talents pour le recrutement prédictif dans le football.

 

 

Abstention

Abstention record : un bon signe pour Macron ?

 

AbstentionL’abstention record de ces dernières législatives ont été dénoncées de part et d’autre, au mieux comme un manque de légitimité de la nouvelle assemblée formée, au pire comme une crise démocratique aiguë. Et si cette abstention élevée traduisait au contraire un plébiscite implicite pour Macron ? Courte plongée dans la psychologie des électeurs…

 

 

Au lendemain du second tour des législatives, le verdict est tombé : 57% des français inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés à leur bureau de vote en ce dimanche ensoleillé de juin. Telle une rengaine qu’auditeurs et téléspectateurs commencent à connaître par cœur, la soirée électorale médiatique a une nouvelle fois consisté à interroger spécialistes, candidats élus, candidats défaits, journalistes, et les administrés eux-mêmes sur les raisons potentielles de cette abstention record. Et comme à l’accoutumée, car les records d’abstention tombent à chaque élection tels des records olympiques boostés aux anabolisants, les mêmes raisons ont été évoquées pour expliquer pourquoi les électeurs se sont, pour reprendre une tournure journalistique, « détournés des urnes ». On a ainsi suggéré que les conditions climatiques absolument fantastiques de ce dimanche, l’accumulation des scrutins et de l’animation électorale, et les résultats univoques du premier tour [1], aient tous pu amener les citoyens français à préférer pique-nique, détente, ou voyage à un face à face austère avec deux bulletins de candidats inconnus dans un isoloir sombre. Dis comme çà…

 

 

Beaucoup y voit également une déchéance du devoir démocratique, plus ou moins alimentée par l’incapacité des politiques de tous bords à répondre de manière cohérente aux aspirations des français. À vrai dire, il serait bien malavisé d’exclure un de ces facteurs de la responsabilité du faible taux de participation de ce dimanche. Autrement dit, toutes ces raisons ont certainement joué un rôle. Les sciences politiques ont aussi déterminé que ces scrutins définissant une majorité gouvernementale, à l’inverse de scrutins à la proportionnelle, étaient moins à même de mobiliser les électeurs [2]. On sait aussi que plus les citoyens sont informés sur des enjeux politiques, plus ils vont voter [3]. Ce fait prend une signification particulière au regard de la situation politique actuelle où le président est, relativement à beaucoup de têtes connues, un novice du suffrage universel, et alors que son programme, ses ministres où ses députés investis restent respectivement éludé, méconnus et inconnus. Enfin, la tendance à aller glisser un bulletin de vote est même influencée par deux gènes en particulier [4] !

 

 

MacronBref, dans le contexte des élections législatives françaises de 2017, il me semble qu’une interprétation du faible taux de participation n’a jamais été évoquée. Et pour cause, elle va à l’encontre de la tendance actuelle décrivant l’abstention comme une protestation indirecte des citoyens envers le processus et la caste électorale : et si le vaste silence des électeurs trouvait également son origine dans un aval implicite du newbie Macron, allégorie du renouveau politique ? Et si Macron, qui a littéralement personnifié ces élections, n’était pas assez clivant pour faire aller voter les contestataires ? À l’instar de Trudeau Jr au Canada et dans une mesure similaire Obama aux USA, Macron parait bien. Le genre de type qu’on ne peut pas détester à partir d’une photo. Pas une gueule patibulaire à la Pasqua où à la Le Pen père, qui ont pu abandonner à leur simple image des points précieux aux élections auxquelles ils se sont présentés.

 

 

Non Macron c’est, pour une majorité, la jeunesse dans notre classe politique sclérosée, le sourire de circonstance, même cet air dadais qui lui permet de se faire pardonner son passage chez Rotschild. Macron n’a pas (encore) une image antipathique, n’a pas (encore) de programme antipathique, clouant les contestataires potentiels, ceux qui ont autrefois taquiné Chirac ou Sarkozy, certainement plus clivants que Macron, chez eux. Je propose ainsi que c’est justement parce que la personnalité de Macron, et dans une moindre mesure son programme, n’opposent pas assez de résistance que le taux d’abstention a pu atteindre le score que l’on connait. Sous cet angle, l’interprétation du taux de participation est radicalement différente : la majorité présidentielle, au contraire de souffrir d’un manque de légitimité, peut se satisfaire discrètement de ne pas avoir réveillée quelque grande contestation, même après un « raz-de marée » au premier tour. La défaite d’un système électoral n’a jamais déçu l’ensemble des partis en présence…

 

 

“Il ne suffit pas de convaincre ses électeurs pour gagner une élection, encore faut-il convaincre ses opposants de ne pas se manifester…”

 

 

Les conseillers politiques de La République En Marche (LREM) ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Il semble que beaucoup de candidats LREM qualifiés pour le second tour des législatives aient refusé un débat d’entre-deux tours avec leur opposant [5]. De là à imaginer que ces refus relèvent de consignes du parti destinées à surfer sur la vague Macron en évitant les délicates anicroches des débats de fond, il n’y a qu’un pas. De plus, il n’aura échappé à personne que le portrait du nouveau président apparaissait en bonne place sur les affiches des candidats LREM à la façon « voter pour moi, c’est voter pour Macron ». Quand politique et surf ne font qu’un… À l’inverse, il semble que quelques candidats PS aient été assez frileux à l’idée de s’afficher investis par ce parti [6]

 

 

abstentionAbstention ou pas, la stratégie de LREM était de jouer sur sa fraicheur politique, de faire peu de bruit avant et pendant les législatives, de mettre en avant leur président-star et d’attendre. C’est l’intérêt pour le parti vainqueur de voir « ses » législatives organisées quelques semaines seulement après les présidentielles… Visiblement, cela a (pour le moment) été suffisant pour ne pas réveiller assez de contestations au second tour des législatives. Il ne suffit pas de convaincre ses électeurs pour gagner une élection, encore faut-il convaincre ses opposants de ne pas se manifester…

 

 

 

Références :

 

[1] http://www.ouest-france.fr/elections/legislatives/legislatives-le-taux-d-abstention-bat-un-nouveau-record-5072235

[2] Blais & Carty (1990) Does proportional representation foster voter turnout? Eur. J. Polit. Res. 18:167-81.

[3] Lassen (2005) The effect of information on voter turnout: evidence from a natural experiment. Am. J. Polit. Sci. 49:103-18

[4] Fowler & Dawes (2008) Two genes predict voter turnout. J. Polit. 70:579-94.

[5] http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/legislatives-les-candidats-lrem-ont-ils-peur-de-debattre_1917320.html

[6] http://www.lexpress.fr/actualite/politique/ps/legislatives-ou-sont-passees-les-couleurs-du-ps-sur-les-affiches-des-candidats_1910485.html

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

 

fair-play

Est-il stratégique d’être fair-play ?

fair-playAu-delà d’un devoir moral, pourquoi être fair-play ? Et si provoquer son adversaire permettait de le déstabiliser ? Risquerait-on à l’inverse de booster ses ressources mentales et ses performances ? On vous explique ici que provoquer son adversaire peut être à double tranchant…

 

 

11 mars 2005, 29ème journée du championnat de football de Ligue 2, le Stade de Reims accueille le Dijon Football Côte d’Or. L’entraineur rémois, Ladislas Lozano, déclare avant la rencontre « Dijon est une équipe frileuse et attentiste ». Résultat : Dijon repartira de Champagne avec une victoire sans appel 5-0. D’aucuns y verront la conséquence d’une provocation exagérée de l’entraineur de Reims, et pourquoi pas un manque de fair-play. Quel aurait en effet été le score de ce match sans cette déclaration tonitruante ?

 

 

Les concours de provocations sont assez présents dans les compétitions sportives. Il n’est ainsi pas rare de voir un boxeur un peu zélé baisser sa garde en guise d’humiliation de l’adversaire ou un footballeur transalpin insultant copieusement un joueur de l’équipe adverse avant de se voir asséner un coup de tête bien placé au thorax. À l’inverse, on a rarement vu deux archers ou deux joueurs d’échecs s’invectiver au cours d’une partie… Le fair-play semble à géométrie variable au gré de nos différentes pratiques sportives. À tort ou à raison ? D’un point de vue psychologique, est-il stratégique de provoquer son adversaire, au risque de lui donner un supplément de ressources mentales améliorant ses performances, ou à l’inverse de ne pas le provoquer ? Dans le cas du match Reims-Dijon, les propos de l’entraineur adverse ont-ils alors fourni aux joueurs dijonnais le supplément de motivation transformant un match de championnat somme toute commun en un festival offensif et une victoire remarquable ? C’est l’objet de l’étude que je propose de commenter dans cet article de blog.

 

 

grip fair-playL’hypothèse proposée par Gneezy & Imas, deux chercheurs en économie comportementale, est que l’agacement ou la colère engendrés par une provocation de son adversaire va agir de manière différente en fonction du type de compétition. Dans une première expérience, les chercheurs ont proposé à des paires de participants de se défier à une tâche physique, en l’occurrence empoigner un dynamomètre afin de mesurer pendant une minute la force déployée par les muscles de la main et du poignet. On est loin du défi intellectuel je vous l’accorde, mais l’idée était de proposer une tâche physique sans demander aux pauvres participants de s’échanger uppercut et crochets après avoir enfilé des gants…

 

 

duel fair-playLa seconde expérience impliquait justement une certaine dose de concentration et nécessitait des capacités mentales plus développées. Les deux participants devaient s’affronter lors d’un duel au pistolet… fictif évidemment, virtuel plus précisément, du type auquel vous pourriez vous-même jouer sur votre Nintendo Wii. Chaque participant, séparés de 20 pas, devait l’un après l’autre prendre la décision de se rapprocher d’un pas ou de tenter un tir. Évidemment la probabilité de toucher son adversaire augmentait à mesure que les participants se rapprochaient l’un de l’autre. Toutefois, si un tir touchant le concurrent donnait la victoire, un tir hors cible menait à une défaite automatique.

 

 

Quid de la provocation ? Il était en début d’expérience donné à l’un des participants la possibilité d’assigner son adversaire à quelques corvées administratives à remplir avec l’auteur de l’étude, et ceci après avoir patienté jusqu’à 20 minutes après l’expérience. Drôle de manière de susciter l’agacement ou la colère me direz-vous, mais certainement efficace quand on pense que l’attente et la paperasse sont certainement deux de nos plus grosses hantises… D’ailleurs, les auteurs de l’étude montrent qu’effectivement, les participants assignés à la tâche administrative après avoir patienté se déclarent plus irrités et en colère que ceux ne l’étant pas.

 

 

“l’agacement ou la colère engendrés par une provocation de son adversaire va agir de manière différente en fonction du type de compétition”

 

 

Les résultats sont très clairs : lors de la tâche physique, les participants à qui l’adversaire avait imposé de patienter 20 minutes après l’expérience pour effectuer des tâches administratives ont montré une performance supérieure au provocateur. Il semble donc que l’agacement engendré par la décision du premier adversaire ait amélioré la compétitivité du second. À l’inverse, lors de la tâche mentale (le duel au pistolet), l’agacement provoqué par l’assignation à la corvée administrative poussait le second adversaire à tenter un tir beaucoup plus tôt au cours du duel, et donc à en sortir plus fréquemment perdant.

 

 

En conclusion, provoquer votre adversaire reste à vos risques et périls car cela semble pouvoir lui donner un coup de boost mental augmentant sa performance lors d’une tâche physique. Lors d’une tâche mentale, l’effet est inversé : la provocation est suffisante pour écarter votre adversaire de la concentration nécessaire à une performance maximale. Finalement, beaucoup de provocations s’observent entre adversaires d’un sport physique (football, boxe, rugby…) et cette étude montre qu’elles peuvent être complètement contre-productives et se retourner contre leurs auteurs. À l’inverse, on n’observe que très rarement des joueurs se provoquer au billard, aux échecs, ou dans tout sport impliquant des ressources mentales, là où la provocation serait pourtant la plus efficace. Les politiciens savent toutefois manier cet arme avec tout le tact et la sournoiserie nécessaires.

 

 

“Le préparateur mental peut travailler sur la gestion de l’agacement et de l’énervement dans le but d’améliorer les performances”

 

 

En résumé, avant de provoquer votre adversaire, évaluez soigneusement les risques. La compétition engendre-t-elle un effort plutôt mental ? plutôt physique ? À moins que vous ne pratiquiez le chessboxing, dont je ne peux résister de partager avec vous une vidéo, cette aspect est aisé à prendre en compte. Mais comme on ne peut pas attendre raisonnablement que nos adversaires soient tous fair-play, le préparateur mental peut anticiper la réaction de son athlète à la provocation et travailler justement sur la gestion de l’agacement et de l’énervement dans différentes situations dans le but d’améliorer ses performances.

 

 

 

Références :

Gneezy & Imas (2014) Materazzi effect and the strategic use of anger in competitive interactions. PNAS 111:1334-7.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc… Morgan David est le fondateur de Predicta Football, le 1er outil scientifique d’identification des talents pour le recrutement prédictif dans le football.

 

 

 

 

[BLOG] Techniques de médiation des conflits : le test expérimental

 

arbitre-conflit-illustrationLes situations de conflits sont naturellement omniprésentes. Une simple négociation commerciale ou diplomatique entre partenaires mène très souvent à la désignation d’une troisième partie neutre : le médiateur. Ces médiateurs sont-ils réellement utiles ? Écoute active, reformulation… quelles techniques devraient-ils utiliser afin de maximiser les chances de succès de la négociation ? C’est l’objet du test expérimental commenté aujourd’hui.

 

 

Impossible de passer à côté de la médiation. Lorsqu’on suit l’actualité, elle est partout. Un conflit social oppose travailleurs et direction dans une entreprise ? Un médiateur est nommé. La jeunesse des tristes banlieues françaises se sent oubliée et laissée de côté ? Engageons des médiateurs ! Une des deux parties d’une transaction n’a pas respecté un accord commercial ? Passons par la case médiateur avant d’envisager la case judiciaire. Même lorsqu’elle ne dit pas son nom, la médiation se fait à couvert : ne possédez-vous pas vous-même un souvenir enfantin d’une dispute dont la cause futile vous échappe, et pour laquelle vous avez sollicité l’intervention d’un ami commun avec votre ennemi du jour ? Que celui qui n’a jamais prononcé la phrase « tu ne veux pas essayer de lui parler, toi ? » me jette la première pierre !

 

 

Jacques Fischer-Lokou

Pr. J. Fischer-Lokou

Parce que les individus de notre espèce sociale passent leurs temps à interagir les uns avec les autres, des conflits d’intérêts inévitablement éclatent. Autant que faire se peut, ces conflits se règlent en bonne intelligence, dans la bienveillance, mais aussi avec le souci de ne pas rentrer dans une escalade dont l’issue serait ravageuse pour chacune des deux parties. Nous négocions constamment, même sans nous en rendre compte. Tentez-vous de convaincre votre enfant qu’il range sa chambre ? ou votre partenaire de réserver une chambre d’hôtel dans votre station balnéaire favorite pour les vacances d’été ? (oui, du point de vue de la psychologie sociale, ces deux situations sont semblables… !). Alors vous allez rentrer dans un processus d’influence, voire de négociation. D’aucuns suggèreraient que ces conflits d’intérêts, pourtant réels (votre partenaire préférant la montagne, et votre enfant désirant exprimer sa créativité en tapissant de légos le sol de sa chambre) nécessitent un médiateur. Toutefois, lorsque les enjeux d’un conflit sont d’une toute autre ampleur, par exemple dans le cas de conflits sociaux ou de discussions diplomatiques, peut-on raisonnablement espérer de deux parties qu’elles parviennent à un accord en négociant entre elles exclusivement ? D’où l’intervention systématique d’une tierce partie neutre : le médiateur, dont le rôle supposé est de faciliter les chances de succès de la négociation. La participation d’un médiateur améliore-t-elle la probabilité que les négociateurs trouvent un accord ? Quelles techniques de communication, verbales ou non-verbales, un médiateur devrait-il utiliser pour favoriser cet accord ? Ces questions ont fait l’objet d’un test expérimental par une équipe de psychologues sociaux français de Vannes et Paris, dirigée par le Professeur Jacques Fischer-Lokou, et publié récemment dans la revue Psychological Reports.

 

 

négociation

Les auteurs de cette étude ont fait appel à des participants qu’ils ont placés dans des situations mimant une négociation. Chaque groupe de trois participants était composé de deux négociateurs et d’un médiateur. Les négociateurs se voyaient attribuer le rôle de chefs d’une équipe dirigeante d’une entreprise fictive de mise en bouteille d’eau minérale. Chacun des négociateurs devait débattre et défendre une opinion relative au matériau plastique utilisé pour les bouteilles. Le premier négociateur devait défendre l’utilisation du PVC, polluant mais peu coûteux, et le second l’utilisation du PET, moins polluant mais plus dispendieux. Pour les aider dans leur argumentaire, les négociateurs étudiaient au préalable une feuille de route détaillant les arguments en faveur de la position qu’ils devaient défendre. Voilà pour les négociateurs !

 

 

L’action des médiateurs était plus intéressante car ce sont eux qui allaient expérimenter différentes techniques de médiation lors du débat entre les négociateurs. La première technique utilisée par une partie des médiateurs étaient la reformulation, c’est-à-dire paraphraser certaines paroles des négociateurs. La reformulation est un procédé, vous pourrez en témoigner, largement utilisé dans les débats médiatiques. Un exemple donné par les auteurs est celui-ci : le négociateur : « il n’écoute pas mes suggestions » ; reformulation du médiateur : « il ne prête pas assez attention à ce que vous suggérez ». La seconde technique était l’imitation. Dans ce cas, le médiateur devait répéter mot pour mot certains propos des négociateurs. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, le médiateur aurait répété « il n’écoute pas vos suggestions » (je ne peux m’empêcher de vous référer aux habitudes verbales de Jean-Jacques Bourdin, animateur politique sur RMC, pour une illustration fidèle de cet exemple…). La troisième technique utilisée par une partie des médiateurs étaient l’écoute active. Cette dénomination à la mode désigne ici une attitude de disponibilité et d’écoute bienveillante des négociateurs. Il était ainsi demandé aux médiateurs d’utiliser une panoplie de comportements tels que se pencher vers les négociateurs et établir un contact du regard avec eux, les questionner et montrer des signes évidents, verbaux ou non-verbaux, d’intérêt, etc… La quatrième technique était la médiation libre, où les médiateurs étaient laissés libres de contribuer au débat comme bon leur semblait. De manière générale, et pour que leur action apparaisse le moins artificiel possible, il était demandé aux médiateurs de n’utiliser leur technique que quatre fois au cours des vingt minutes du débat et de formuler une proposition d’accord pour conclure la discussion. Enfin, une partie des négociateurs menait son débat sans la présence d’un médiateur. L’on relevait in fine le nombre de débats ayant débouché sur un accord (par exemple, production de bouteilles en PET exclusivement, en PVC exclusivement, production alternée, etc…), ainsi que la perception du rôle des médiateurs par les négociateurs.

 

 

“L’absence de médiateur n’est pas préjudiciable à l’atteinte d’un accord entre les deux parties en conflits”

 

 

winwinVoici le pourcentage d’accords conclus pour chacune des techniques de médiation utilisées : écoute active : 75% ; imitation : 62% ; condition contrôle sans médiateur : 48% ; reformulation : 43% ; et médiation libre : 31%. Il est crucial de noter qu’aucune des techniques de médiation est statistiquement plus ou moins efficace que la condition contrôle sans médiateur. En d’autres mots, la simple action d’un médiateur n’a pas permis d’atteindre plus d’accords que lorsqu’aucun médiateur ne participait au débat. À la question « la participation d’un médiateur améliore-t-elle la probabilité que les négociateurs trouvent un accord », la réponse est « dans les conditions de ce test, NON ! ». La présence et l’action d’un médiateur pourrait ne pas être toujours primordiale pour résoudre un conflit entre deux parties.

 

 

“La technique d’écoute active ne surpasse pas la technique d’imitation”

 

 

Lorsque l’on compare les différentes techniques de médiation entre elles, l’écoute active est significativement plus efficace que la reformulation ou la médiation libre, mais ne mène pas significativement plus à des accords que l’imitation. L’imitation est elle-même plus efficace que la médiation libre, mais pas plus que la reformulation. Lorsque l’on a demandé aux négociateurs leur avis sur les médiateurs, les résultats sont similaires. En condition d’écoute active, les négociateurs jugent que l’action des médiateurs a été plus efficace qu’en condition de reformulation ou de médiation libre, mais aussi efficace qu’en condition d’imitation. De manière générale, il semble que la technique d’écoute active ne surpasse pas la technique d’imitation.

 

 

Arbitrage social

En conclusion, l’écoute active et l’imitation semblent deux techniques relativement efficaces pour, à la fois mettre les négociateurs dans des dispositions propices à la résolution du conflit, et augmenter la probabilité de parvenir à un accord. Ce résultat était quelque peu attendu par les auteurs qui soulignent que les procédés d’imitation lors d’interactions interpersonnelles génèrent plus d’une conséquence heureuse, comme rendre une discussion plus agréable, ou faire apparaitre des arguments comme plus convaincants (je vous réfère à l’effet caméléon si vous désirez en savoir plus à ce sujet). À l’inverse, simplement paraphraser les arguments des deux parties semble être moins efficaces pour résoudre un conflit. Les limites de cette étude résident toutefois dans la population des participants utilisée : des étudiants en management et pas des professionnels de la négociation. Aussi, il ne faut pas oublier que cette étude montre que l’absence de médiateur n’est pas préjudiciable à l’atteinte d’un accord entre les deux parties en conflit, tout du moins dans les conditions de l’expérience. On peut donc estimer de manière raisonnable que chaque conflit ne nécessite pas systématiquement un effort de médiation. Certains conflits peuvent ainsi vraisemblablement se régler lors d’une discussion directe entre les deux parties, sans intermédiaire.

 

 

 

Référence : Fischer-Lokou et al. (2016) Effects of active listening, reformulation, and imitation on mediator success: preliminary results. Psychological Reports 118:994-1110.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc… Morgan David est le fondateur de Predicta Football, le 1er outil scientifique d’identification des talents pour le recrutement prédictif dans le football.