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Le flop des campagnes de communication, épisode 3 !

le pen communication psychologie flop

Lorsque j’ai rédigé mes deux premiers billets sur les flops des campagnes de communication, je n’avais pas prévu d’en faire des publications régulières. Et puis moi-même, psychologue, ai été victime du biais cognitif dit de disponibilité. Cette tendance à voir partout l’objet de votre préoccupation car elle est facilement accessible à votre mémoire. En termes moins alambiqués, j’ai commencé à voir des exemples de mauvaise communication partout.

 

Rien ne sert de blâmer mon cerveau outre mesure. Ces exemples sont OMNIPRÉSENTS. Et si je ne me contentais pas de les observer moi-même, mes contacts ont acquis le réflexe de partager avec moi des exemples d’affiches ou de publicité qu’ils jugent suspectes. Ou dont ils imaginent que j’en laisserais échapper un commentaire, parfois sarcastique, tout du moins critique.

 

Alors soit, il semble que je me destine modestement à faire de ces flops de communication un rendez-vous régulier. J’ai pris le pari d’à la fois vous révéler mes perles préférées, mais aussi d’esquisser une explication du flop, basée sur la psychologie de la communication. Comme vous le verrez, ces justifications sont parfois évidentes. Et l’on me traitera à raison de condescendance en prétendant réinventer le fil à couper le beurre. Mais pour le reste, l’expérience me montre un peu plus chaque jour que l’introspection est la plus vicieuse des compagnes. Et l’être humain décidément très mauvais pour anticiper la psychologie et le comportement de son voisin.

 

Enfin, j’ai délibérément pris le parti de ne pas faire référence outre mesure à du jargon scientifique ou des études publiées. Restons dans la vulgarisation, rapide, concise, explicite. Je reste bien entendu à votre disposition, souhaiteriez-vous connaitre noir sur blanc la justification strictement scientifique d’un phénomène que j’évoque.

 

En route !

PSYCHOLOGIE & COMMUNICATION : LE RÔLE DE L’IDENTITÉ SOCIALE

 

Et pour débuter ce 3ème épisode, j’ai souhaité partir sur un sujet « léger » : la politique !

 

le pen communication psychologie flopSur cette affiche du rassemblement national, on voit Marine Le Pen et un slogan. « Français, réveillez-vous ! ». Si les français sont endormis, qui est éveillé ? Le RN ? C’est ce que semble suggérer cette affiche.

 

En psychologie, la théorie de l’identité sociale suggère que l’on n’est jamais plus coopératif, ou que l’on ne fait jamais plus confiance à une personne, que si on l’identifie comme faisant partie de son groupe social. On évoque parfois cette théorie en parlant de l’opposition outgroup/ingroup, ou exogroupe/endogroupe. Ce qui est intéressant est ce que ce groupe social existe à n’importe quelle échelle : les autres personnes de mon village / de mon département / de ma région / de mon pays… L’important est de s’identifier à ce groupe social.

 

En fin de compte, c’est un peu eux contre nous. Les Bourguignons contre les Franc-Comtois, les Nordistes contre les Sudistes… En suggérant que les français sont endormis et qu’eux sont éveillés, les communicants du RN font l’erreur de créer artificiellement deux groupes sociaux. Ils placent de facto le lecteur de l’affiche dans le groupe opposé à celui de l’affiche. Le RN (les éveillés) contre les lecteurs (les endormis). Dès lors, pas sûr que ce soit le meilleur slogan pour rassembler et être écouté…

 

PSYCHOLOGIE & COMMUNICATION : LE RÔLE DE LA SAILLANCE

 

Deuxième exemple, probablement mon préféré. Il ne s’agit ici d’une affiche mais plutôt d’un dispositif, que d’aucuns qualifieraient de nudge… La probable inefficacité de ce dispositif n’a d’égal que le tintamarre et l’approbation qu’il a suscités dans la presse locale. Pour faire bref, voici une plaque posée devant un égout prévenant le passant que ses détritus, communication psychologie flop Dijons’il les jette parterre, finiront dans la mer. Car la mer commence, comme tout le monde le sait, depuis les bouches d’égouts de la rue de la Liberté à Dijon…

 

Le problème est que cette communication ressemble plus à du branding. On ne cherche pas à affecter le comportement du piéton. Mais son plus gros péché n’est pas là. Son défaut est de vouloir susciter chez un dijonnais la représentation de la mer et de la pollution maritime. Mis à part Besançon, je pense qu’il n’y a pas de ville moyenne plus éloignée d’un littoral que la capitale Bourguignonne.

 

Dès lors, on peut s’attendre à ce que la pollution maritime ne soit pas la préoccupation numéro 1 d’un dijonnais moyen. Ce n’est probablement pas la corde sensible la plus efficace pour éveiller les consciences dans cette ville. Il y a donc un manque de cohérence entre les représentations et objectifs que souhaite susciter cette communication, et les représentations du concept de pollution dans le cerveau d’un dijonnais.

 

Il semble que cet exemple ait été copié d’une initiative mise en place à Collioure. Sans hésitation, la pollution maritime est, dans le cerveau d’un habitant de Collioure, un concept plus facilement appréhendable que dans celui d’un habitant de Dijon…

 

PSYCHOLOGIE & COMMUNICATION : LE RÔLE DE L’HUMOUR

 

Dernier exemple. Celui-là vient de sortir, c’est tout chaud. Cette affiche semble (!?) être de la publicité pour un produit de nettoyage. Le gros problème avec le slogan est évidemment l’adverbe « seulement ». « Seulement » est réducteur et met en avant des limites. La chose est universelle (« Alors ton examen ? », « j’ai eu seulement 11/20 »). « Seulement » indique que les espérances communication psychologie flop starwaxet les attentes étaient différentes. « Seulement » est un des prémices de la déception.

 

Dans d’autres contextes publicitaires, « seulement » est utilisé pour souligner des petites valeurs dans un esprit de minimisation (« Votre nouvelle télévision écran plat à seulement 149€ »). On est loin de l’objectif de la marque. Encore une fois il y a un manque de cohérence entre le claim d’un produit de nettoyage puissant, et les mots employés pour en faire la promotion.

 

Dernière interprétation possible, le communicant souhaite jouer sur l’ironie. En mettant en avant le paradoxe entre l’adverbe « seulement » et le fort pourcentage. Malheureusement le sarcasme est le meilleur ennemi du communicant. C’est d’abord une forme d’humour à utiliser avec parcimonie, pas avec n’importe qui… Et certainement pas la forme d’humour la plus évidente et la plus facile à comprendre. Surtout lorsque le verbal et le non-verbal de son interlocuteur sont absents.

 

Rassurez-vous, cette marque ne s’est pas contentée d’une seule affiche, me donnant ainsi du matériel pour les futurs épisodes des flops de campagne de communication.

 

J’espère que cet épisode vous a plus. Souhaitez-vous en lire d’autres ? Stop ou encore ? Vos réponses en commentaires ! Merci bien.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

morgan david

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer des services dans différents domaines comme la communication, l’influence, le marketing & les ventes. ANALYTICA est le créateur du concept des PsychoSegments, du service de neuromarketing CogniSales, du service de menu engineering nouvelle génération CogniMenu, et du service de neuromarketing appliqué au packaging CogniPackaging.

 

 

 

photo ville nuit

Smart City & Nudges : deux faces de la même médaille ?

 

photo ville nuitS’il existait un palmarès des thématiques en vogue actuellement dans le registre de l’innovation, la Smart City et les nudges y figureraient en bonne place. Étonnamment, aucun rapprochement, qu’il soit théorique ou technique, n’a encore été envisagé pour ces deux concepts. C’est le but de ce post de montrer comment et pourquoi Smart City, nudges et sciences comportementales vont collaborer dans un futur proche.

 

QU’EST-CE QUE LA SMART CITY ?

 

Le concept de Smart City, bien qu’encore relativement inconnu du grand public, connait un intérêt fulgurant au niveau mondial. À une époque où l’urbanisation et le taux d’urbains ne fait globalement que croître (plus de 50% d’urbains au niveau mondial, 77% au niveau européen1), se pose la question de maintenir en un espace réduit une population toujours plus nombreuse. Le défi que représente cette énigme géo-démographique tient du maintien de la qualité de vie du citoyen et de l’utilisation raisonnée, écologique et durable de l’environnement et des énergies. Enfin, le progrès technologique lié aux mesures en temps réel, à l’intelligence artificielle, aux objets connectés et au « Big Data », vient apporter une nouvelle dimension à ce challenge en fournissant le réseau d’informations à partir duquel des décisions peuvent être prises.

 

Ajuster la disponibilité des transports publics à l’affluence mesurée en temps réel, optimiser le tri, la collecte et le recyclage des déchets, centraliser les services d’action des municipalités pour une meilleure efficacité, favoriser la production et l’utilisation d’une énergie renouvelable, améliorer la coexistence de différents types de transports sur les routes… Voilà autant de défis que propose de relever la Smart City dont les traductions en français sont en conséquence multiples : ville durable, ville intelligente, ville citoyenne…

 

 

La ville du XXIème siècle devra se construire autour des habitudes des citoyens, de leurs comportements et de leurs besoins Cliquez pour tweeter

 

image profil ville

 

En la matière, des villes françaises comme Dijon sont devenues pionnières2. Denver, aux États-Unis, a également construit un projet de Smart City autour de la maîtrise et de la gestion des énergies et de l’optimisation de la circulation routière3. Ces projets centralisateurs et consommateurs de données numériques sont maintenant réalisables grâce à la collecte, au transport et à l’utilisation des données obtenues auprès d’autant de capteurs et systèmes connectés.

 

L’USAGER AU CŒUR DU SYSTÈME

 

De l’aveu même des promoteurs de la Smart City, c’est donc bien le comportement et les habitudes des usagers qui sont au centre de l’attention4. La Smart City et les territoires intelligents se développent par eux et pour eux. La ville du XXIème siècle devra se construire autour des habitudes des citoyens, de leurs comportements et de leurs besoins. La Smart City se veut démocratique ! Au-delà de l’enjeu technologique se posent ainsi deux défis plus subtils et facétieux que sont 1) connaître l’usager, sa psychologie et ses attentes pour répondre adéquatement à ses exigences, et 2) réciproquement, pour que l’usager réponde aux exigences de la Smart City, savoir le guider vers de nouvelles habitudes.

 

 

Communiquer n’est pas influencer, proposer n’est pas persuader Cliquez pour tweeter

 

NUDGES & SCIENCES COMPORTEMENTALES : UN RÔLE DÉCISIF

 

photo main globe réseauConnaître le comportement des citoyens est une chose, les faire adhérer à de nouvelles habitudes en est une autre. Les multiples campagnes de communication vouées à l’échec le prouvent au quotidien5,6. La naïveté et l’inaptitude des communicants à anticiper la psychologie et le comportement des usagers résultent en la réalisation de projets publics que les usagers vont ignorer ou auxquels ils ne vont pas adhérer7. Communiquer n’est pas influencer, proposer n’est pas persuader. Et pourtant, la communication représente la rampe de lancement des projets liés aux Smart Cities. Il ne suffit pas de proposer des bornes de tri des déchets pour que les citoyens les utilisent. Il ne suffit pas non plus de leur demander d’économiser l’eau en période de sécheresse ou l’électricité en période de forte demande pour que ces recommandations soient suivies. La Smart City peut optimiser nos modes de vie collectifs si et seulement si les usagers se comportent de manière à rendre cette optimisation possible. Sans adhésion ni engagement des usagers, point de salut pour la City, aussi Smart soit-elle !

 

L’objectif des Smart Cities est par essence de promouvoir l’intérêt collectif. Toute la question réside dans la manière de traduire cet intérêt collectif en motivations et intérêts individuels touchant directement les usagers. Sans cela, les nouvelles pratiques promues par la Smart City n’entreront pas dans les usages des citoyens. L’enjeu consiste à persuader les usagers de modifier leurs habitudes et d’adopter de nouvelles pratiques, en associant l’ergonomie de la Smart City à la psychologie des usagers.

 

FAVORISER L’ADHÉSION & L’ENGAGEMENT DES USAGERS

 

Bonne nouvelle, les sciences comportementales apportent nombre de solutions destinées à agir efficacement sur les comportements. Que l’on utilise les nudges, la communication stratégique, les architectures de décision ou des interventions plus classiques de psychologie sociale, les sciences comportementales offrent de nombreuses techniques permettant de susciter l’adhésion à de nouvelles normes et de nouvelles habitudes. Sans grande surprise, ces techniques sont largement sous-utilisées à l’heure actuelle par des communicants ne se souciant principalement que de la forme des messages adressés aux citoyens (voir encart ci-dessous). Les enjeux des Smart Cities sont pourtant trop importants pour que leur développement soit conduit sans placer la psychologie des usagers au centre des réflexions. Motiver les citoyens à s’engager dans de nouveaux usages est une démarche subtile qui mérite l’apport fiable et efficace des sciences comportementales.

 

exemples stop aux déchets

Encart : Conséquences de différents messages hypothétiques d’une campagne pour lutter contre les déchets jetés sur les autoroutes par les automobilistes (Dijon, 2018)

 

En 2014, on dénombrait 51 pays dont les gouvernements s’étaient emparés des sciences comportementales et des nudges afin de guider la mise en place d’initiatives publiques. En France par exemple, la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) place les sciences comportementales comme une voie d’avenir pour booster l’innovation publique et sociétale8,9.

 

Le recul existe et le contexte est maintenant favorable aux Smart Cities et autres territoires intelligents pour profiter de la puissance des sciences comportementales et rencontrer un succès indispensable auprès des citoyens. Le caractère « Smart » des nouvelles « Cities » se prouvera en premier lieu par l’exigence de leurs promoteurs de recourir au savoir fiable et éprouvé des sciences comportementales : une prise de conscience essentielle pour associer les citoyens et usagers aux défis urbains du XXIème siècle.

 

1 https://www.latribune.fr/regions/smart-cities/20150220trib477e7a234/pourquoi-il-faut-aller-au-dela-de-la-ville-intelligente.html

2 https://www.lemonde.fr/la-france-connectee/article/2018/03/14/dijon-premiere-smart-city-de-france_5270728_4978494.html

3 https://www.lci.fr/high-tech/smart-city-de-denver-a-dijon-ces-projets-pour-une-ville-plus-intelligente-et-ecolo-2077908.html

4 https://atelier.bnpparibas/smart-city/article/d-une-smart-city-engaged-city

5 http://cabinet-analytica.fr/le-flop-des-campagnes-de-communication/

6 http://cabinet-analytica.fr/flop-campagnes-communication-le-retour/

7 http://cabinet-analytica.fr/9-effets-psychologiques-qui-ruinent-campagne-communication/

8 http://www.modernisation.gouv.fr/laction-publique-se-transforme/thomas-cazenave-sciences-comportementales-et-politiques-publiques-inciter-plutot-que-contraindre

9 http://www.modernisation.gouv.fr/en/node/198853

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

couverture livre JM Servet

Commentaires sur “L’économie comportementale en question” de Jean-Michel Servet

 

couverture livre JM Servet

 

Je suis tombé il y a peu sur l’ouvrage « L’économie comportementale en question » de Jean-Michel Servet, paru en avril 2018. Domaine à la mode pour certains, révolutionnaire pour d’autres, je me le suis procuré pour découvrir les arguments de l’un des seuls auteurs francophones sur le sujet et en faire une « rapide » évaluation critique.

 

 

 

Avant d’entamer le voyage, si vous souhaitez un petit rappel sur l’économie comportementale, vous pouvez consulter deux de mes précédents articles :

Sur les nudges : http://cabinet-analytica.fr/les-nudges-quest-ce-que-cest/

Sur l’économie comportementale de manière générale : http://cabinet-analytica.fr/prix-nobel-2017-quest-leconomie-comportementale/

 

Photo de Jean-Michel Servet

Jean-Michel Servet

Pour situer l’auteur, Jean-Michel Servet est un économiste spécialiste du développement, ancien chercheur à l’Institut Universitaire d’Études du Développement de Genève et enseignant dans des structures Françaises et Suisse. Pour plus d’informations sur ce monsieur : http://graduateinstitute.ch/fr/annuary/_/people/servet

 

Pour aller droit au but, les principales critiques que JM Servet adresse à l’économie comportementale tiennent en quatre points :

 

  •  L’avènement de son hégémonie dans le domaine des sciences économiques, en termes de concept, d’accaparement des fonds et de recrutement,
  • La faiblesse des démarches expérimentales de type RCT (Randomized Controlled Trials)1 pour une discipline qui se veut empirique, historique, et qualitative,
  • en découlant, le manque de contextualisation des économistes comportementalistes de leurs résultats et de leur découvertes, avec notamment une trop forte propension à insister sur la p-value plutôt que sur la taille de l’effet,
  • l’utilisation des recherches en économie comportementale pour la promotion de mesures néolibérales.

 

 

QUELLE ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE ?

Quelques commentaires donc, aussi brefs que possible, sur ces critiques : tout d’abord il semble que le terme d’économie comportementale fasse preuve d’une grande ambiguïté actuellement. L’économie comportementale, qui propose d’étudier et d’anticiper les décisions économiques de leurs agents à la lumière de leur comportement, est la discipline à la base des fameux nudges, ou coups de pouce. Ces nudges consistent à court-circuiter les biais cognitifs dont citoyens et usagers font preuve lorsqu’ils prennent des décisions. Le nudge, pourtant promu par des économistes comportementalistes, ressemble alors plus à un outil de psychologues sociaux destiné à changer les comportements. Il en découle que rien n’est moins bien défini qu’un nudge. Une architecture de choix destinée à engager des salariés dans le choix de cotisations retraite profitables sur le long terme en est un. Des dents de monstre dessinées de chaque côté d’une porte d’une voiture de RER en est prétendument un également… (voir ici). Il en ressort que les nudges semblent avoir dépassés leurs créateurs pour désigner n’importe quelle situation dans

prix nobel 2017

Article de blog : “Prix Nobel 2017 : qu’est-ce que l’économie comportementale ?”

laquelle on tente d’influencer autrui en jouant sur l’environnement de décision. Les critiques formulées par JM Servet dans son livre ne semble se focaliser que sur la résolution de questions de sciences économiques par les économistes comportementalistes, comme le micro-crédit ou la promotion de l’épargne dans les pays pauvres. Jean-Michel Servet aborde très peu l’intérêt des nudges et des sciences comportementales pour des problématiques liées aux usages et habitudes des citoyens en dehors de la sphère financière. Et pour cause, JM Servet est économiste et dénonce l’accaparement des sciences économiques par les économistes comportementalistes. En conclusion, et de manière factuelle, la critique de JM Servet concerne principalement l’implication des économistes comportementalistes dans des questions d’économie financière. Il est très peu évoqué le rôle des nudges et des biais cognitifs pour d’autres disciplines, comme la psychologie sociale. Jean-Michel Servet reste ainsi discret sur l’application des principes d’économie comportementale à ces disciplines (voir toutefois « Les autres disciplines accessoirisées » page 124 ou « Quand l’économie comportementaliste fait son marché en psychologie » page 129).

 

 

LE MANQUE DE CONTEXTUALISATION

D’un point de vue technique, le manque de contextualisation des recherches des économistes comportementalistes ne concernent malheureusement pas que cette discipline, mais est un problème inhérent à la recherche scientifique, où le degré d’expertise de chaque discipline et courant n’a jamais été aussi fort. Si ce reproche n’est pas exclusif à la discipline de l’économie comportementale et est explicable, on peut aisément considérer que le manque de communication entre les économistes comportementalistes et les économistes traditionnels, dénoncé par l’auteur, ne reflète effectivement pas un processus sain de développement de la discipline et ne peut être que contre-productif.

 

 

LES STATISTIQUES AU CŒUR DE LA CRITIQUE

couverture de Nudge

Lien vers l’article de blog “Les nudges, qu’est-ce que c’est ?”

Jean-Michel Servet insiste sur l’importance des critères historiques et culturels dans la compréhension des pratiques économiques locales et la mise en place de politiques adaptées. On ne peut qu’être d’accord avec çà. Les RCTs restent toutefois à mon avis les méthodes expérimentales les plus abouties pour identifier le rôle et l’importance d’un facteur, d’une variable, dans un phénomène d’ordre causal (en calculant par exemple un coefficient de détermination1). Jean-Michel Servet critique le fait que les RCTs ne sont capables d’identifier des facteurs causaux qu’à l’échelle de la population, c’est-à-dire là où la moyenne des échantillons va différer entre groupes contrôles et groupes expérimentaux. C’est effectivement l’objet des expérimentations scientifiques que d’arriver de manière graduelle à l’identification des facteurs impliqués dans un processus. Et si celles-ci ne sont pas capables de rendre compte des détails de l’intégralité d’un mécanisme, notamment au niveau inter-individuel, alors plus d’expérimentations peuvent être nécessaire, notamment en segmentant les échantillons initiaux. Les statistiques à la base des expérimentations scientifiques rendent compte de moyennes, ou médianes, calculées sur des groupes d’individus, et c’est un mauvais procès qui leur est fait de dénoncer cela. En effet, aussi imparfaite que cette méthode puisse être perçue, aucune autre n’est aujourd’hui plus puissante pour expliquer avec certitude la source causale de phénomènes.

 

 

RÉCONCILIER QUANTITATIF & QUALITATIF

Au-delà du tout RCT ou du tout qualitatif, c’est justement en associant RCTs et recherches historiques, culturelles, anthropologiques, qualitatives que l’on peut espérer comprendre au maximum les phénomènes et prendre des dispositions appropriées afin d’agir sur les comportements. Une critique totale des RCTs me paraitrait ainsi excessive. Aussi, et c’est là où les tailles d’effet ont leur importance, ce n’est pas parce qu’une action a une influence statistiquement significative sur les comportements que son rôle est important. Encore faut-il déterminer la part de variation du comportement observé que l’on peut expliquer avec notre facteur explicatif. Si le coefficient de détermination (R²) est faible (et les tailles d’effet des études d’économie comportementale sont souvent très faibles), peu importe que son action soit statistiquement significative, ce facteur ne représente certainement pas un levier d’action pertinent pour agir sur les comportements.

 

 

PROMOUVOIR LE NÉOLIBÉRALISME

Enfin, JM Servet accuse l’économie comportementale de « servir la soupe » du néolibéralisme. Alors qu’elle pourrait contribuer à identifier des politiques globales susceptibles d’affecter des variables économiques, comme la pauvreté, elle se ferait plutôt la caution scientifique et expérimentale de décisions prises à l’aune d’une idéologie : le néolibéralisme. Cette perspective fait référence au paternalisme libertarien que bien des chercheurs de cette discipline critique de manière légitime2. Les recherches des économistes comportementalistes considèrent que les citoyens n’agissent pas de manière rationnelle au niveau économique (rationnel du point de vue néolibéral de la propriété et de la libre concurrence). Ces citoyens devraient ainsi voir leurs comportements corrigés pour améliorer leur condition. C’est un point de vue effectivement très paternaliste dont la finalité consiste, de manière objective, à canaliser les libertés individuelles de manière à correspondre à un idéal néolibéral occidental, dans son idéologie et son fonctionnement. L’absence de contextualisation culturelle empêche ici de considérer que les habitudes observées puissent correspondre à des particularités optimales au niveau local (on parlerait

 

“Les économistes comportementalistes ont-ils intérêt à mordre la main qui les nourrit ?”

 

d’adaptation locale en biologie évolutive) qui sont réellement rationnelles. L’approche de l’économie comportementale consiste seulement à considérer que si les populations-cibles ne se comportent pas de la manière que le néolibéralisme considère comme rationnelle, c’est que ces populations sont victimes de biais cognitifs. Dans le cas de l’épargne, c’est parce que les populations pauvres se comporteraient de manière court-termiste que toute tentative de développement de l’épargne et de la monnaie dématérialisée serait vouée à l’échec. L’importance de la culture, des particularités et de la rationalité locales reste très peu envisagée. Les propos de JM Servet qui consiste à dénoncer la préemption de l’économie comportementale par les gouvernements occidentaux néolibéraux (USA, UK , France et autres…) semblent convaincants. Les présupposés des recherches des économistes comportementalistes relèvent du paternalisme libertarien et veulent uniformiser la gestion des finances des citoyens au sein des populations. Ceci pour une meilleure efficacité de la gestion collective. Il est aisé de voir dans ces démarches une réduction des libertés individuelles là où la prise en compte des préférences, des habitudes et de l’utilité différentielle des comportements de différents groupes de population conduirait à des actions de gestion et d’incitations mieux ciblées et moins contraignantes.

 

 

1ères CONCLUSIONS

En conclusion, les critiques de Servet envers l’économie comportementale nous paraissent justifiées à bien des égards, par exemple au niveau du manque de contextualisation des recherches. Les critiques portant sur le manque de prise de recul ou l’importance démesurée des p-values au détriment des tailles d’effet sont valables pour n’importe quelle discipline scientifique quantitative et nul doute que beaucoup d’efforts sont nécessaires à cet égard.

Toutefois, les critiques de JM Servet à destination des RCTs nous paraissent excessives car nous pensons qu’elles sont encore le moyen le plus performant pour déterminer le rôle causal d’un facteur dans un phénomène. L’approche hypothético-déductive (assimilable à l’approche abductive évoquée page 159) suppose toutefois que les hypothèses testées soient ajustées au fil des expériences, notamment par des considérations empiriques ou culturelles, ce qui est spécifiquement le reproche adressé par JM Servet à l’économie comportementale.

Quant aux liens entre économie comportementale et néolibéralisme, c’est effectivement un des postulats de ce courant idéologique dominant que de considérer la volonté et la motivation personnelles comme le moteur principal de tout changement (avec peu d’étonnement, on retrouve cette philosophie dans la mode des coaches en tout genre, notamment de développement personnel, si présents, si promus et si actifs…). C’est oublier le rôle des facteurs historiques, sociologiques, environnementaux ou sociaux sur les habitudes et les comportements. Il pourrait être opportun pour les économistes comportementalistes de discuter du bien-fondé des politiques financières sociétales que leurs travaux contribuent à mettre en place plutôt que de travailler de manière acharnée sur leurs applications. Cette démarche est, d’après JM Servet, l’apanage des économistes traditionnels, mais les économistes comportementalistes ont-ils intérêt à mordre la main qui les nourrit ?

 

 

CONCLUSION DES CONCLUSIONS

Les critiques adressées par Servet ne nous paraissent ainsi ni dénuée d’intérêt ni complètement à même de sonner le glas de l’approche de l’économie comportementale. La reprise de ses principes montre une efficacité avérée sur les comportements, notamment en psychologie sociale (mais la psychologie sociale a-t-elle besoin de l’économie comportementale, là où l’inverse est indéniable…). Encore faut-il sortir des très marketing nudges et adopter une posture plus pluridisciplinaire et fondée sur des théories et des concepts bien établis, tels que la théorie de l’engagement. Là aussi nous suivrons JM Servet lorsqu’il parle d’accessoirisation des disciplines proches. La psychologie sociale est effectivement utilisée à leur gré par les promoteurs du nudge, souvent de manière inappropriée et plus pour servir de caution scientifique qu’en s’intéressant vraiment aux détails conceptuels qui permettrait d’améliorer l’efficacité des campagnes de prévention ou de promotion des comportements (voir les dents de « monstres » dessinées sur les portes des RER…).

L’ouvrage de JM Servet représente ainsi un contre-poids certain à la mode de l’économie comportementale auquel tout scientifique digne de ce nom et concerné par le sujet devrait accorder une lecture attentive et objective. Si différents courants au sein d’une même discipline sont nécessaires à son développement, la communication entre ces courants est la condition sine qua non et saine pour générer des progrès conceptuels certains. Sans cela, c’est à une bataille de clochers permanente à laquelle il faut s’attendre, les savants redevenant après tout, comme le disait Bachelard, aussi subjectifs et bouffis d’ego que n’importe quel quidam une fois passée la porte de leur laboratoire…

 

1Les RCTs, ou Randomized Controlled Trials, sont des plans expérimentaux consistant à identifier de manière statistique l’influence causale d’une variable sur une autre. De manière générale, les RCTs consistent à mesurer une variable, telle que le taux d’épargne, sur deux groupes d’individus : un groupe auquel on applique la variable dont on suppose qu’elle exerce une influence sur le taux d’épargne, comme la dématérialisation de la monnaie, et un groupe contrôle, ressemblant sociologiquement et numériquement au premier, mais sur lequel aucune intervention spécifique n’est réalisée. Si les deux groupes diffèrent en moyenne et de manière statistiquement significative sur leur taux d’épargne, alors on pourra en conclure que la variable appliquée au premier groupe joue un rôle dont l’importance peut être numériquement estimée via un coefficient de détermination. L’utilisation de groupes placebo en médecine est l’illustration la plus commune du principe des RCTs.

2 Mols et al. (2014) Why a nudge is not enough: a social identity critique of governance by stealth. Eur. J. Polit. Res. 54, 81-98. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1475-6765.12073

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, les ventes, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

 

couverture de Nudge

Les nudges, qu’est-ce que c’est ?

 

Parmi les derniers nés des sciences comportementales, les nudges sont l’application de connaissances et techniques développées par l’économie comportementale au cours des 30 dernières années à des problématiques concrètes (surtout sociétales), dont le point culminant a été l’attribution du Prix Nobel d’économie à Richard Thaler en 2017. Voici à quoi ils correspondent…

 

 

Les nudges correspondent en français à des « coups de pouce », c’est-à-dire une manière douce d’agir sur les comportements. Les nudges doivent leur développement à des chercheurs en économie comportementale, comme Dan Kahneman ou Richard Thaler, tous deux prix Nobel d’économie, respectivement en 2002 et 2017. L’apport de l’économie comportementale a été de remettre en cause certains fondements de l’économie traditionnelle, comme par exemple celui qui consiste à penser que chaque personne prend toujours des décisions rationnelles dans le meilleur de ses intérêts et en toute connaissance de cause. Cette perspective considère que notre cerveau est omniscient et n’analyse que rarement de manière erronée les coûts et les bénéfices des options entre lesquelles il effectue des choix.

 

“Notre cerveau est victime de nombreux biais cognitifs”

 

L’économie comportementale a montré que notre cerveau est en fait victime de nombreux biais cognitifs, c’est-à-dire de mécanismes “non-rationnels” de traiter l’information. Ces biais de toutes sortes nous poussent à prendre des décisions qui ne sont pas toujours dans notre intérêt objectif, alors que le choix d’autres options nous serait plus profitable.

 

La mise en évidence de ces biais cognitifs a ainsi motivé les économistes du comportement à développer des techniques pour en quelque sorte prendre notre cerveau à son propre jeu. De là sont nés les nudges : puisque notre cerveau nous pousse à prendre des décisions contraires à nos intérêts, présentons-lui les données du problème de manière à favoriser le choix de l’option nous étant la plus profitable.

 

Par exemple, le biais de conformité nous rend plus susceptible d’adopter un comportement lorsque celui-ci est adopté par la majorité. Les économistes du comportement suggèrent ainsi de présenter un comportement comme suivi par une majorité afin de persuader le reste de s’y conformer. Cette solution est par exemple utilisée avec succès pour promouvoir les économies d’énergie, les comportements vertueux, la promotion de l’activité physique ou d’une alimentation saine, etc…

 

Le biais d’aversion à la perte désigne notre plus forte motivation psychologique à éviter de perdre du capital plutôt qu’à en gagner. Ce biais psychologique est par exemple largement utilisé pour encourager les comportements citoyens présentant un bénéfice à la collectivité ou des économies au niveau individuel.

 

En résumé, les nudges correspondent à des interventions, mises en situation, ou des ensembles de dispositifs mis en œuvre à une échelle large. Ces nudges sont établis afin de contourner les biais cognitifs dont font preuve nos cerveaux et de guider tout à chacun vers des prises de décision plus conformes à nos intérêts individuels ou collectifs.

 

Si vous désirez en savoir plus sur l’économie comportementale et les nudges, lisez notre article de blog dédié !

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et de meilleurs services dans différents domaines. ANALYTICA est le créateur de CogniSales, et du service de menu engineering nouvelle génération CogniMenu.

 

 

prix nobel 2017

Prix Nobel 2017 : qu’est-ce que l’économie comportementale ?

 

La nouvelle est tombée… le prix Nobel 2017 d’économie sera Richard Thaler, figure incontournable de l’économie comportementale et des fameux nudges dont il a largement contribué au développement ces 30 dernières années. Et comme presque personne n’a jamais entendu parler d’économie comportementale ou de nudge, décryptons brièvement le pourquoi du comment de cette discipline avec quelques exemples.

 

 

Imaginez-vous à la tête d’une caserne de sapeurs-pompiers dans le sud de la France en été. Des incendies font rages, et les flammes se rapprochent dangereusement et rapidement d’un hameau composé de trois habitations. À votre disposition, deux stratégies d’intervention dont les modalités et les conséquences potentielles diffèrent :

 

A/ cette stratégie vous permet de sauver une des trois maisons, mais pas les deux autres ;

B/ cette stratégie a une chance sur 3 de sauver les 3 maisons, mais aussi 2 chances sur 3 de n’en sauver aucune.

 

Quel choix ferez-vous ? Si vous réagissez comme 71% des personnes à qui l’on pose cette question, vous aurez choisi la sûreté et sauverez une des trois maisons (stratégie A). Posons maintenant le problème différemment. Deux stratégies s’offrent toujours à vous pour tenter de sauver les trois habitations des flammes :

 

C/ cette stratégie résultera en la perte inévitable de deux maisons ;

D/ cette stratégie a 2 chances sur 3 de résulter en la perte des trois maisons, mais une chance sur 3 de toutes les sauver et donc de n’en perdre aucune.

 

Face à ce second dilemme, plus de 80% des gens choisissent la stratégie D, la plus risquée. Pour résumer, face à deux alternatives comprenant à chaque fois une option sûre et une option risquée, les participants choisissent en majorité l’option sûre dans un cas, et l’option risquée dans le second. Des différences tout à fait irrationnelles qui s’expliquent par la manière dont est formulé le dilemme. Notre cerveau prend ainsi des décisions différentes selon si le problème est formulé en termes de gains ou de pertes potentielles. Si nous étions 100% rationnels, comme le suppose l’économie traditionnelle, la même proportion de décisions pour l’une ou l’autre des stratégies devrait être retrouvée entre les deux formulations du dilemme.

 

Si vous avez compris cela, vous avez compris l’économie comportementale ! Les principes de l’économie traditionnelle s’autorisent des simplifications : pour elle, nos cerveaux prennent des décisions rationnelles qui optimise les bénéfices que l’on peut tirer de nos choix. Par exemple la façon dont nous investissons notre argent ou le choix de notre alimentation. L’économie traditionnelle pensait prédire les processus économiques car chacun de ses acteurs étaient censés agir, sans faillir, pour maximiser ses propres intérêts. L’économie comportementale s’est au contraire développée à la faveur d’observations que nous ne prenons que rarement des décisions rationnelles et que notre cerveau fait preuve d’innombrables biais cognitifs nous emmenant en dehors des chemins de la rationalité. Mes collègues viennent-ils tous de choisir des frites devant moi à la cafétéria ? Le biais de conformité m’entrainera dans un choix similaire bien que je sache éperdument que ce n’est pas le choix optimal pour mon régime. La responsable RH de la dernière entreprise dans laquelle vous avez postulé vous a-t-elle fait passer un test de personnalité ? Le biais de désirabilité sociale vous aura poussé à vous dévoiler sous un jour plus agréable, travailleur et ouvert aux expériences que vous ne l’êtes réellement. Randonneurs, vous n’avez toujours pas atteint le fameux point de vue sur la vallée qui a servi de prétexte aux 4h de marche à travers le massif forestier ? Votre compagnon de route commence à douter que vous n’ayez jamais été sur le bon chemin ? La sunk cost fallacy, ou Concorde fallacy (je n’ai pas de traduction française satisfaisante) vous poussera à persister dans votre marche bien que les chances d’atteindre votre but diminuent… Proposez à un inconnu le don d’un billet de 5 euros sur le champ, ou de 20 euros le lendemain, la plupart repartira avec le premier billet. Quoi de plus irrationnel ? Le biais d’impulsivité aura poussé l’inconnu à surestimer un gain dont l’obtention est proche, par rapport à l’autre, plus conséquent, mais différé dans le temps. Enfin, si vous pensez que Macron, malgré un plébiscite démocratique certain, n’est pas le chef d’État que mérite la France, votre cerveau aura tendance à accorder plus d’importance aux informations relatant les inexactitudes et les échecs de la politique de notre Président que le bien-fondé de ses réformes. C’est le fameux biais de confirmation.

 

 

“Les biais cognitifs […] touchent tous les aspects de notre vie quotidienne”

 

 

Les biais cognitifs ont jusqu’ici été identifiés par dizaines. On peut d’ailleurs en trouver un bon résumé sur cette page wikipédia. Ils touchent tous les aspects de notre vie quotidienne et sont utilisés intentionnellement ou non par tout type d’organisation. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les grosses entreprises nationales nous assénaient de réclames publicitaires aussi imbéciles les unes que les autres ? C’est un peu de notre faute finalement… ou de celle de notre cerveau… à cause du biais de disponibilité dont il fait preuve, c’est-à-dire de sa faculté à attribuer d’autant plus son attention à des signaux visuels et sonores qu’il les aura fréquemment rencontrés par le passé. Ce n’est parce que le contenu des publicités Carglass ou Lidl sont dignes d’intérêt que les consommateurs se tournent vers ces enseignes, j’espère que vous l’aurez deviné, mais parce qu’elles nous rabâchent les mêmes slogans à longueur de journée sur des médias d’influence…

 

L’identification de ces biais doit beaucoup à Kahneman et Tversky, deux économistes du comportement, le premier recevant également le prix Nobel d’économie en 2002, et qui ont précédé Thaler dans le développement de cette discipline. Au-delà d’un aspect purement descriptif ou d’une meilleure compréhension de la manière dont notre cerveau traite l’information et prend des décisions, l’économie comportementale a posé les bases d’une pratique destinée à agir sur les comportements. C’est aussi et surtout pour le concept de « nudge » (ou coup de pouce) que Richard Thaler est connu. Il y a même consacré un livre éponyme en 2008 avec son comparse Cass Sunstein.

 

 

“L’efficacité des nudges est souvent très relative face à d’autres techniques et interventions de psychologie sociale”

 

 

Le principe du nudge est le suivant : étant donné que notre cerveau montre des biais cognitifs quasi-systématiques lors de nos prises de décision, alors structurons les situations de choix auxquelles les citoyens font face afin de « tromper » leur cerveau à prendre malgré lui une décision plus conforme à leurs intérêts ou à l’intérêt collectif. Le concept de nudge est très à la mode dans les organisations se destinant à agir sur les comportements, principalement des organisations publiques. Thaler est ainsi à l’origine aux États-Unis de programmes poussant les salariés à investir plus d’argent dans leur pension de retraite au fil du temps (« Save More Tomorrow ») [1]. Ce système permet ainsi de contourner l’obstacle nuisible de la vision à court terme dont font preuve ces mêmes employés en ne mettant pas assez d’argent de côté assez tôt pour leur retraite. Le biais d’aversion à la perte, maintes fois démontré en économie comportementale, est aussi beaucoup utilisé dans le concept du nudge : toutes choses étant égales par ailleurs, une personne lambda investira plus d’énergie à empêcher la perte d’un capital existant plutôt qu’à obtenir des gains de même valeur. En d’autres termes, nous sommes psychologiquement plus motivés à éviter de perdre du capital qu’à en gagner. Ce biais est largement utilisé (sauf en France) afin de sensibiliser aux dépenses d’énergie par exemple. Si l’on veut encourager les citoyens à jeter moins de détritus dans la rue, éteindre les lumières à leur domicile ou baisser la température pour faire des économies de chauffage, il sera par exemple particulièrement efficace de prévenir du coût individuel de ne pas suivre ces recommandations. Enfin, faire référence aux normes sociales, donc jouer sur le biais de conformité, est une technique très répandue parmi les promoteurs du nudge : on ne convaincra jamais mieux une personne d’adopter un comportement citoyen que si elle est persuadée que ses voisins agissent de la même manière.

 

Bien entendu, le nudge a également ses pourfendeurs, qui, à raison, dénonce son caractère paternaliste et assujettissant [2]. Aussi, l’efficacité des nudges est souvent très relative (avec une taille d’effet de peu supérieure aux groupes contrôles) face à d’autres techniques et interventions de psychologie sociale, par exemple basées sur la théorie de l’engagement, et dont le succès est éprouvé depuis plusieurs décennies.

 

Quoi qu’il en soit, l’attribution du prix Nobel à Richard Thaler est un coup de projecteur fantastique sur cette discipline qu’est l’économie comportementale et son pendant appliqué qu’est le nudge. L’utilisation des sciences comportementales appliquées à la gestion et à l’économie dans les pays anglo-saxons est devenu monnaie courante. J’en veux pour preuve la création d’une équipe d’interventions comportementales (Behavioural Insights Team) par David Cameron au Royaume-Uni en 2010, celle de l’équipe des sciences sociales et comportementales (Social & Behavioral Sciences Team) par Obama en 2015, ou celle de l’unité d’interventions comportementales (Behavioural Insights Unit) par les Nations-Unies en 2016. En France, où le romantisme philosophique s’oppose au pragmatisme anglo-saxon, le recours aux techniques éprouvées par la science dans la gestion des affaires publiques n’en est qu’à ses balbutiements. Espérons que ce Nobel 2017 d’économie ouvre un tant soit peu les esprits aux techniques qui se donnent la peine d’être efficaces…

 

Références :

[1] http://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/380085

[2] http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1475-6765.12073/full

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

 

 

Le flop des campagnes de communication, le retour !

Devant l’abondance des campagnes de communication ignorant délibérément les fondements de la psychologie sociale (alors qu’elles ambitionnent d’affecter celle de leur cible), je considère sérieusement la possibilité de créer une rubrique afin d’y entreposer les plus beaux spécimens, tel un florilège des mauvaises pratiques…

 

 

Il y a quelques mois, je publiais un article de blog dans lequel j’expliquais que beaucoup de campagnes de communication étaient vouées à l’échec. D’un point de vue de la psychologie de la cible, les raisons étaient multiples : tantôt le message n’était pas le bon, tantôt la situation exposée était on ne peut plus mal choisie. Dans tous les cas, comble de la communication préventive, on pouvait même s’attendre à ce que la campagne de communication, à l’inverse de réduire certains comportements non-désirables, soit susceptible de susciter ces mêmes comportements.

 

Un petit rappel pour vous rafraichir la mémoire :  je basais mon article sur une campagne récente des villes de Mâcon et Dijon tentant de réduire les comportements indésirables sur la voie publique comme jeter son mégot ou son chewing-gum par terre, ne pas ramasser les déjections de son animal, y laisser les siennes, etc… J’ai ainsi expliqué en quoi placarder les abribus de la cité des Ducs d’affiches menaçant les contrevenants d’une amende avait toutes les chances d’être contre-productif et au contraire de susciter lesdits comportements. Une histoire de normes sociales et de normes de marché…

 

déchets Dijon communication

 

Si vous souhaitez encourager les jeunes à boire de l’alcool dans un contexte festif, je vous rassure, c’est possible aussi ! Pour cela, on peut monter une campagne d’affiches similaire à ce qu’ont récemment fait nos voisins germaniques. Prenez à parts égales garçons et filles, ajoutez-y quelques sourires et postures décontractées, quelques bouteilles de bières bien mises en avant, enrobez le tout d’une ambiance tamisée mais festive, et laissez la magie opérer. Effet garanti : l’affiche donna aux jeunes qui l’observèrent un désir supérieur de consommer de l’alcool en soirée par rapport à des jeunes d’un groupe contrôle.

 

conso alcool allemagne communication

 

C’est donc avec en tête le souvenir de ces moyens de communication qui n’atteindront jamais leur fin que je viens de tomber sur une affiche de la campagne de l’Institut National du Cancer. L’affiche est aussi minimaliste que la cause est noble : un fond blanc sur lequel on a posé un tire-bouchon old-school (les vrais, les plus efficaces, ndlr), accompagné du message suivant “Réduire sa consommation d’alcool”. PATATRAS ! J’imagine qu’encore une fois on n’est pas passé par la case “psychologue social” avant de valider les épreuves d’une campagne dont le coût est certainement loin d’être anodin. Si, comme on l’a vu précédemment, représenter des jeunes buvant des bières dans une ambiance festive encourage la consommation d’alcool, qu’attendre d’affiches préconisant la réduction de la consommation en dépeignant un tire-bouchon… au pays du vin ! Si la vision du tire-bouchon suscite à la majorité, comme à moi, le souvenir sonore du “chtop” du bouchon déclarant ouvertes les festivités; si elle suscite l’envie de coller son nez contre un verre qu’on vient d’emplir de Volnay tannique et floral, et bien, honnêtement, je ne suis pas certain que cette affiche atteigne son but avoué de prévenir la surconsommation d’alcool, cause avérée s’il en est de certains cancers.

 

Et les vignerons de s’insurger contre ce qu’ils considèrent comme une attaque en règle de leur terroir ! Le syndicat des vignerons indépendants du Var s’est ainsi plaint de la mauvaise publicité que ce type d’affiche peut véhiculer sur leur profession et leur savoir-faire. Rassurez-vous messieurs, cette affiche en apparence accusatoire n’est vraisemblablement, contre toute attente, rien d’autre que de la publicité gratuite sponsorisée Institut National du Cancer…

 

Parce que communiquer n’est pas seulement illustrer, peut-être serait-il temps de s’intéresser au fond des messages que l’on veut faire passer en plus de la forme ? Le reste est peine perdue…

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…

 

 

 

Séminaire RH

Intervention sur les changements de comportement en contexte de ressources humaines avec l’ANDRH

 

Merci à l’ANDRH21 pour l’invitation formulée à Analytica pour parler des changements de comportement dans le contexte des ressources humaines !

Parce que les techniques traditionnelles de pratique des ressources humaines montrent leur limite au quotidien, et parce qu’il est toujours aussi compliqué d’instaurer le changement en entreprise, le temps semble venu de ré-inventer ces pratiques RH.

Sélection des collaborateurs, adhésion aux projets, engagement et gestion mentale, la psychologie sociale apporte des solutions innovantes à bien des aspects de la gestion des ressources humaines, au-delà de la philosophie “carottes et bâtons” et dans une approche empirique, quantitative et basé sur des données objectives. Parce qu’il ne suffit pas de guider ou d’informer pour faire changer les comportements, la psychologie sociale, et les sciences comportementales en général, apportent des solutions fiables et efficaces pour la mise en place des projets et de la stratégie d’entreprise.

(cliquez pour agrandir)

 

Séminaire RH

 

services RH

 

 

Comment reprendre les calories perdues pendant votre exercice ?

 

poids chocolatLa lutte contre le surpoids est un enjeu de santé publique majeur. Encourager les citoyens à l’exercice physique est ainsi le premier des objectifs. Ne pas reprendre les calories perdues en est un autre, et pas des moindres. Voyons comment ne pas ruiner les efforts consentis lors de votre activité physique.

 

 

Un français sur 2 est en surpoids [1]. Ce constat réalisé par l’INSERM en 2016 contribue à faire de la lutte contre l’obésité et manger bougerle surpoids un enjeu de santé publique majeur. C’est ainsi que les campagnes de prévention et de recommandation ont fleuris afin de sensibiliser les citoyens à ce problème. Les objectifs de ces campagnes sont multiples. Et à raison ! L’origine de l’épidémie croissante de surpoids est elle-même multifactorielle. L’on peut dénoncer le manque d’activité physique ou les régimes alimentaires peu équilibrés. Ces deux causes sont en fait intimement liées et représentent les deux faces d’une même médaille. « Manger bouger », « 5 fruits et légumes par jour », « 30 minutes de marche par jour », les slogans et les initiatives pour favoriser un mode de vie sain et équilibré sont un des outils permettant de toucher et de sensibiliser les citoyens le plus largement.

 

Et pourtant les « chiffres » du surpoids ne fléchissent pas, ils semblent même augmenter en même temps que les kilomètres de pistes cyclables, les parcours de santé, les salles de sport, les étiquetages nutritionnels des produits alimentaires… bref, toutes ces dispositions mises en œuvre pour enfin faire chausser à notre français moyen ses baskets et lui faire avaler sa dose quotidienne de fruits et légumes.

 

 

“L’état d’esprit dans lequel l’on va s’engager dans une activité physique va affecter notre tendance à consommer des aliments plus ou moins caloriques”

 

 

Quel est donc le problème ? À l’heure où l’on ne peut guère s’aventurer dans un jardin public sans y croiser à tout moment quelques joggeurs, pourquoi continuons-nous à prendre du poids ? Une équipe de chercheurs internationaux dirigée par Carolina Werle a testé une hypothèse étonnante dans une étude parue en 2015 dans le journal Marketing Letters [2] : et si les individus décidant effectivement de se mettre au sport reprenaient comme un boomerang les calories perdues en s’alimentant ? Et si oui pourquoi ? L’hypothèse peut paraître surréaliste. En effet, comment imaginer un instant votre voisin, celui que vous croisez régulièrement dans la cage d’escalier revenir de la salle de sport, s’empiffrant aussitôt rentré de snacks et autres barres chocolatées plus caloriques les unes que les autres. Et pourtant, c’est dans les méandres et les mécanismes alambiqués de notre psychologie que Werle et ses collaborateurs nous emmènent avec leur hypothèse.

 

 

30min de marche par jourL’idée de départ de ces psychologues sociaux était que l’état d’esprit dans lequel l’on va s’engager dans une activité physique va affecter notre tendance à consommer des aliments plus ou moins caloriques. Leur hypothèse est ainsi que la représentation d’une activité physique comme un exercice dur et fatiguant vous poussera à récompenser mentalement cet effort en vous faisant plaisir dans votre choix de nourriture. Malheureusement, en diététique, et la biologie évolutive explique cela très bien, qui dit plaisir dit riche et calorique. À l’inverse, si vous vous représentez votre séance de jogging comme une activité agréable et distrayante, vous aurez pris assez de plaisir pour ne pas compenser cet effort par une nourriture attractive et trop calorique.

 

 

Voici comment l’équipe de Carolina Werle s’y est prise pour tester ces hypothèses : ces chercheurs ont demandé à du staff de leur université de participer à une mini-course d’orientation où les participants devait suivre un parcours de marche d’environ 2 kms sur le campus. Pour 50% d’entre eux (groupe « exercice »), la course d’orientation avait été décrite comme une séance d’activité physique de 30 minutes. Pour les 50 % restants (groupe « plaisir »), la course d’orientation avait été 5 fruits et légumes par jourdécrite comme une activité ludique de promenade à travers le campus. Les membres du staff étaient ensuite récompensés de leur participation par un déjeuner. Et comme souvent en psychologie sociale, c’est au moment où ils s’y attendent le moins que le comportement et les choix des participants sont scrutés. Ainsi, la quantité de nourriture que se servirent les participants fut relevée. Pour le dessert et les boissons, le choix devait s’effectuer entre deux options peu caloriques (respectivement une compote et une bouteille d’eau) et deux options caloriques (un gâteau au chocolat et un soda). Il était laissé la possibilité aux participants de se resservir en dessert.

 

Voici les résultats : les participants du groupe « exercice » consommèrent en plus grande quantité les desserts et boissons caloriques que les participants du groupe « plaisir ». De plus, les participants du groupe « plaisir » se déclaraient de meilleur humeur après la course que ceux du groupe « exercice ». Tout se passe donc comme si la représentation d’un exercice comme une activité physique fatigante encourageait une compensation de l’effort fourni par une nourriture attractive et calorique.

 

Dans une seconde expérience, les chercheurs ont interrogés les participants d’une course à pied sur le plaisir qu’ils avaient pris pendant leur effort, avant de leur offrir une gratification sous forme d’un choix entre une barre chocolatée et une barre de céréales. Suivant la même logique que l’expérience précédente, les participants déclarant avoir pris le moins de plaisir pendant la course choisissaient préférentiellement la barre chocolatée.

 

engraisseurTout semble donc indiquer que l’état d’esprit dans lequel vous abordez votre activité physique affecte votre comportement alimentaire. Les résultats de cette étude montre que se représenter votre session de jogging comme un exercice dur et fatiguant va vous pousser à compenser cet effort par la consommation de nourriture attractive. En gros, le plaisir que l’on ne prend pas pendant la course est récupéré dans l’alimentation. Et malheureusement, les aliments qui nous sont le plus attractifs sont aussi les plus caloriques. Cela peut ainsi expliquer pourquoi il ne suffit pas de vous engager dans une activité physique pour prévenir le surpoids. Encore faut-il en cohérence garder un régime et des choix alimentaires sains. Le meilleur moyen pour cela est de prendre du plaisir dans votre activité et de justifier votre engagement par une volonté interne de prendre du plaisir plutôt que par des considérations externes comme la perte de poids.

 

Bien sûr, les personnes très impliquées et engagées dans un mode de vie sain sont moins susceptibles de succomber aux phénomènes de compensation décrits plus haut [3]. Malheureusement, les études de psychologie sociale montre que beaucoup de personnes compensent leurs efforts en mangeant plus calorique. Et cela n’est pas seulement vrai pour les sportifs : dans un contexte de restauration, on sait que le choix d’une entrée considérée comme peu calorique encourage à prendre un dessert [3], ou alors que des aliments hypo-caloriques peuvent de manière perverse être surconsommés justement parce qu’ils sont considérés comme peu caloriques [4].

 

Ce genre de biais, subtils et pervers, sont à prendre en considération par les professionnels de ces questions, par exemple les psychothérapeutes ou les diététiciens, afin de prévenir ces phénomènes de compensation et donner toute leur efficacité aux programmes de réduction du surpoids et de promotion de la santé dans notre société.

 

 

 

 

Références :

[1] http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/10/25/un-francais-sur-deux-est-en-surpoids_5019615_3244.html

[2] Werle et al. (2015) Is it fun or exercise? The framing of physical activity biases subsequent snacking. Marketing Letters 26:691-702.

[3] Her & Seo (2017) Health halo effects in sequential food consumption: the moderating roles of health-consciousness and attribute framing. International Journal of Hospitality Management 62:1-10.

[4] Wansink & Chandon (2006) Can « low-fat » nutrition labels lead to obesity? Journal of Marketing Research 43:605-17.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc… Morgan David est le fondateur de Predicta Football, le 1er outil scientifique d’identification des talents pour le recrutement prédictif dans le football.

 

 

 

 

Le flop des campagnes de communication

Défense d'afficherPourquoi les campagnes de communication font-elles des flops ? La manière dont les pouvoirs publics ou les entreprises communiquent sur leurs actions ou leurs produits est tellement standardisée que d’aucun ne songe à questionner leur efficacité. Suffit-il de fournir de l’information pour transmettre un message ? Comment être sûr d’impacter la cible de votre communication ? C’est l’objet de ce post.

 

 

À bien y réfléchir, la question de l’efficacité des campagnes de communication pourrait certainement faire l’objet d’un ouvrage à elle toute seule. Les moyens de communication sont si nombreux et si divers qu’on peut raisonnablement douter d’une règle d’efficacité commune à eux tous.

 

Mon point de vue de psychologue est qu’une bonne campagne de communication peut difficilement faire l’impasse sur une démarche de l’ordre du scientifique. Après tout, l’objectif n’est-il pas que le message soit bien reçu et affecte les comportements ? D’abord poser les bases : non, notre cerveau ne traite pas toutes les informations également, bien grand lui en fasse. Cela peut paraître évident, mais le phénomène d’attention limitée qui en découle est à la base de nombre de processus et biais cognitifs. Ensuite, tester l’impact de sa communication sur la cible visée est une démarche intéressante. Intéressante mais pas forcément suffisante. Si l’on sollicite votre avis de consommateur, vous pouvez toujours exprimer une préférence entre deux versions d’un packaging de biscuits de marque A. Si le packaging de la marque B est globalement meilleur que celui de A, le test consommateur de la marque A est désuet avant même d’avoir livré ses résultats… D’où l’importance d’optimiser sa communication à la lumière de ses consommateurs, ou de sa cible en général.

 

 

“Science et création sont trop souvent perçus comme antinomiques

 

 

Malheureusement, parce que science et création sont trop souvent perçus comme antinomiques, parce que l’on surestime sa capacité de persuasion ou parce que l’on pense qu’il suffit de transmettre de l’information pour convaincre et affecter les comportements, beaucoup de campagnes de communication sont d’une efficacité toute relative… Les exemples sont légions et je ne peux résister à l’envie de vous en faire part. Éteignez les lumières, installez-vous confortablement et plongeons ensemble dans ce décryptage didactique.

 

Toute ressemblance entre les exemples que je vais aborder et des affiches que vous auriez pu entrevoir au travers d’une rue sera tout sauf fortuite. Comme je l’ai signalé plus haut, nous sommes tellement habitués à lire des messages construits de la même manière que nous considérons leur efficacité comme indiscutable. Après tout, si l’on transmet les messages de la même façon au fur et à mesure des campagnes de communication, cela ne peut être dû au hasard… et pourtant…

 

conso alcool allemagne communicationLe premier cas d’école est une affiche préparée par une initiative de santé publique en Allemagne afin de lutter contre l’alcoolisme chez les jeunes. L’affiche représente des jeunes gens tenant en main une variété de boissons alcoolisées. Le message principal de l’affiche est « Alcool ? connais tes limites ». Des chercheurs de différentes universités allemandes ont voulu tester l’impact de l’affiche sur les intentions de la population-cible. Ils ont ainsi montré que l’affiche était loin de dissuader les jeunes participants de l’étude de boire de l’alcool. Pire, après avoir observé l’affiche, ceux-ci se déclaraient même plus enclins à vouloir en consommer le week-end suivant par rapport à une affiche contrôle [1]. Après tout, la situation illustrée dans l’affiche n’est-elle pas plaisante ? Des garçons, des filles, on rit, on boit, on passe une bonne soirée… on aurait presque envie d’y participer pour peu que l’on maitrise la langue de Goethe…

 

 

mâcon ville propre communicationLe second cas d’école est encore plus récent car il concerne deux campagnes de communication récemment lancées à Mâcon [2] et à Dijon [3], en Bourgogne, afin de dissuader les piétons de jeter leurs mégots et leur chewing-gum dans la rue. Encore une fois, tout ce qu’il y a de plus banal : une affiche comportant un montage photo (certes de qualité) accompagné d’un avertissement sans frais sur le montant de l’amende que ce comportement peut engendrer. Rien de nouveau sous le soleil. Fumeurs et mâcheurs de chewing-gums, préparez vos porte-monnaie ! Malheureusement, ce genre de communication est devenu un classique de la psychologie sociale et il y a peu à en attendre pour faire changer les comportements et, accessoirement, rendre nos rues moins sales. En effet, avertir du montant d’une amende consécutive à un comportement répréhensible fait rentrer ce comportement dans le cadre d’une norme transactionnelle. Pour être clair, jeter son chewing-gum ou son mégot est initialement considéré comme un comportement indésirable moralement, à l’encontre des attitudes convenables et acceptables par ses concitoyens. Du moment où l’on attribue un prix (ici l’amende) à la réalisation de ce comportement, le fait-on rentrer déchets Dijon communicationdans une logique de transaction, où le comportement n’apparait plus comme indésirable, mais comme une action d’une certaine valeur, pour laquelle un prix a été fixé. Le geste ne devient plus inapproprié dans l’esprit du fumeur mais intégré dans les règles marchandes de la communauté. Après tout, pourquoi s’imposerait-on des limites si notre pratique est négociable. “Si je paye je peux”.

 

 

Ce phénomène a été décrit en 2000 dans une étude de Gneezy & Rustichini via un exemple assez parlant : afin de lutter contre les retards des parents venant récupérer leur enfant à plusieurs accueils périscolaires, il a été instauré un système d’amende dont l’objectif était de réduire le nombre de retardataires. Malheureusement, c’est l’inverse qui s’est produit. L’instauration d’amendes a eu l’effet de doubler le nombre de parents récupérant leur enfant en retard [4]. Encore une fois, le comportement moralement indésirable (retarder le fonctionnement de l’accueil et ses employés) était soudainement devenu un service facturé. Pourquoi donc s’en passer, même moyennant une certaine somme ? Le système d’amendes a été supprimé dans un troisième temps de l’étude. Ironiquement, le nombre de retardataires n’est pas revenu à son niveau d’avant l’instauration du système d’amendes, comme si l’expérience avait créé de nouvelles habitudes encore plus tenaces… C’est subtil la psychologie…

 

 

“Les campagnes de communication font des flops car elles se basent sur du concept dont la validité […] n’est pas démontrée”

 

 

advergame communicationLes exemples de flops de campagnes de communication pourraient être déroulés encore longtemps. J’aurais par exemple pu vous parler de cette étude qui montre qu’un « advergame » (un petit jeu vidéo promouvant un produit) portant sur des barres chocolatées augmente leur consommation que la présence d’un message sur l’écran alertant du caractère publicitaire du jeu ne permet pas de réduire [5]. Les campagnes de communication font des flops car elles se basent trop souvent sur du concept dont la validité vis-à-vis de notre psychologie n’est pas démontrée. Il ne suffit pas non plus de transmettre une information pour que notre cible adopte le comportement voulu, sinon tous les automobilistes rouleraient sans écarts à 50 en ville, 130 sur autoroute, et l’on mangerait tous 5 fruits et légumes par jour. Ce n’est évidemment pas le cas, et cet état des lieux est loin d’être inconnu des psychologues sociaux. Mieux, ils y travaillent et développent des techniques empiriques et testées afin d’affecter les comportements en optimisant les manières de vous adresser à votre cible. Par exemple, la théorie de l’engagement, ou l’économie comportementale, utilisent les connaissances sur le fonctionnement de notre cerveau pour établir des techniques nous motivant à économiser l’eau [6], réduire notre consommation d’alcool [7], recycler nos déchets [8], augmenter notre activité physique [9], etc…

 

Pour conclure, et répondre à la question « comment être sûr d’impacter la cible de votre communication ? », je formulerais 2 recommandations : 1) adoptez une démarche systématique d’optimisation du message à la lumière de la psychologie et du comportement ; 2) testez empiriquement et ajustez vos supports.

 

 

Références :

[1] Zimmermann et al. (sous presse) Psychology, Health & Medicine.

[2] http://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/saone-et-loire/macon/megots-chewing-gums-papiers-macon-sevit-fait-savoir-1210955.html?utm_content=buffer35a4f&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=buffer

[3] http://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/grand-dijon/dijon/68eu-amende-attendent-ceux-qui-jettent-leurs-dechets-rues-dijon-1223071.html

[4] Gneezy & Rustichini (2000) Journal of Legal Studies 29:1-17.

[5] Folkvord et al. (2017) Appetite 112:117-23.

[6] Dickerson et al. (1992) Journal of Applied Social Psychology 22:841-54.

[7] Michie et al. (2012) Addiction 107:1431-40.

[8] Dupré & Meineri (2016) Journal of Environmental Psychology 48:101-7.

[9] Wilson et al. (2005) Annals of Behavioral Medicine 30:119-24.

 

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À PROPOS DE L’AUTEUR :

 

Dr. Morgan DAVID   

Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…