[BLOG] Empathique ou punitive ? La discipline scolaire passée au grill expérimental
Quand la psychologie sociale apporte des réponses quant à l’efficacité de différentes approches disciplinaires…
Imaginez-vous un instant enseignant. Debout, seul face à une classe de pré-adolescents polis, buvant vos paroles, attentifs, appliquant religieusement les méthodes que vous leur prodiguez, progressant collectivement et à un rythme soutenu… Sans être un professionnel de l’enseignement, on peut aisément imaginer que cette situation relève du rêve de tout instituteur, professeur de collège ou de lycée investi et empli de vocation. Malheureusement, l’agitation et le débordement d’énergie propres à l’enfance et l’adolescence transforment parfois cet idéal fantasmé en un capharnaüm difficilement gérable. Au-delà du mal-être et de la résignation des enseignants qui peut en découler, les comportements et l’attitude malveillants des élèves sont une plaie pour eux-mêmes. Par exemple, il a déjà été montré que les problèmes de discipline prédisent la probabilité future de chômage et d’incarcération (voir les références dans l’étude commentée ci-dessous). C’est un euphémisme de suggérer qu’une atmosphère plus studieuse et détendue en classe serait bénéfique à la fois aux élèves et aux enseignants.
Les solutions pour y parvenir sont pourtant loin de faire l’objet d’un consensus. Les questions liées à l’éducation et la discipline sont habituellement la source de vifs débats : fessées/pas fessées, punitions/pas punitions, discussions/pas discussions. Chaque parent ou enseignant privilégie sa méthode, empirique la plupart du temps. Les approches sont nombreuses et certaines se sont même vues faire l’objet de traitements expérimentaux.

Figure 1 : (à gauche) score de respect pour l’enseignant lorsque celui-ci adopte une attitude punitive (en gris clair) ou empathique (en gris foncé); (à droite) score de motivation à mieux se comporter dans le futur lorsque l’enseignant adopte une attitude punitive (en gris clair) ou empathique (en gris foncé).
L’étude que je commente ainsi dans ce post a été dirigée par Jason Okonofua de l’Université de Stanford (États-Unis) et publiée dans l’un des volumes de mai 2016 de la célèbre revue PNAS. Elle visait à déterminer quelle cadre disciplinaire, entre une approche empathique et une approche punitive, était plus efficace pour réduire les renvois et exclusions d’élèves. D’après les auteurs de l’étude, l’approche disciplinaire punitive est actuellement privilégiée, en tout cas aux États-Unis, suivant la raison que la tolérance zéro devrait couper les comportements malveillants à la racine. Pourtant, des études ont montré que le respect mutuel entre une figure d’autorité et des tiers peut motiver ces derniers à suivre les règles imposées par les premiers, notamment en situation de conflit (voir les références dans l’étude commentée ci-dessous). La qualité de la relation entre un enseignant et ses élèves est ainsi un bon prédicteur du comportement global de la classe. Okonofua et ses collaborateurs ont donc soumis la question de la discipline au grill expérimental en évaluant l’impact d’une approche empathique et d’une approche punitive sur les renvois disciplinaires. Dans une première expérience, ces auteurs ont demandé à des lycéens d’imaginer une situation dans laquelle ils dérangent la classe en se levant plusieurs fois et en jetant des objets dans la corbeille. On leur administra ensuite un questionnaire leur demandant leur ressenti face à une réaction de leur enseignant adoptant une approche punitive (punition disciplinaire et menace d’avertir le principal) ou une approche empathique (questionnement du comportement et réorganisation succincte de la classe). Les lycéens déclareront montrer plus de respect pour leur enseignant et être plus motivés à se comporter correctement dans le futur dans la condition empathique que dans la condition punitive (Figure 1).

Figure 2 : pourcentage d’élèves exclus au cours de l’année lorsque l’enseignant a suivi le module sur l’apprentissage (en gris clair) ou le module sur la discipline empathique (en gris foncé).
La seconde expérience de cette étude est encore plus concluante car elle emploie la méthode expérimentale. Les auteurs ont « recrutés » des professeurs de mathématiques de collèges de Californie pour participer à deux modules d’informations en ligne à deux semaines d’intervalle. En condition « empathique », la moitié des enseignants recrutés devait lire un texte sur les raisons qui peuvent pousser les élèves à mal se conduire en classe et sur la façon dont des bonnes relations avec l’enseignant peuvent améliorer le niveau des élèves. Les enseignants devaient ensuite rédiger un petit texte sur les manières dont ils pourraient adapter ces techniques et connaissances dans leur classe. Lors de la seconde session, il était demandé aux enseignants de décrire la façon dont ils montraient du respect à leurs élèves, puis d’administrer à ces mêmes élèves un questionnaire sur le respect qu’on leur témoignait. Pour l’autre moitié des enseignants, la structure du module était similaire mais portait sur les techniques d’apprentissage, permettant ainsi in fine d’isoler l’impact de l’approche empathique sur les variables relevées.
Les résultats de cette expérience montrent que les élèves avec un historique de sanctions disciplinaires se sentent plus respectés lorsque leur professeur de mathématiques a suivi le module sur la discipline empathique que celui sur les techniques d’apprentissage. Aussi, la probabilité pour les élèves de faire l’objet d’une sanction disciplinaire d’exclusion au cours de l’année passait de 9.6 % pour les élèves dont le professeur avait suivi le module sur les techniques d’apprentissage, à 4.6 % pour les élèves dont le professeur avait suivi le module sur la discipline empathique, diminuant ainsi de moitié les exclusions (Figure 2).
« Comme dans un contexte parental, une approche trop permissive serait contre-productive […]. Au contraire, cette intervention encourage les enseignants à discipliner les élèves dans un contexte de compréhension mutuelle et de confiance »
Ces résultats sont spectaculaires à plusieurs points de vue : tout d’abord, à aucun moment au cours des modules en ligne il n’a été demandé aux enseignants de changer leur manière de gérer leur classe ou d’adopter une approche disciplinaire différente. Les modules consistaient juste à laisser imaginer aux enseignants comment la discipline pouvait servir à construire des relations respectueuses et de qualité entre les élèves et l’autorité. Le succès de cette « amorce » cognitive et de ses conséquences fournit une base de travail et de réflexion pertinente afin d’atteindre un équilibre profitable entre discipline punitive et empathique. Comme le mentionne les auteurs de cette étude : « comme dans un contexte parental, une approche trop permissive serait contre-productive […]. Au contraire, cette intervention encourage les enseignants à discipliner les élèves dans un contexte de compréhension mutuelle et de confiance ».
Aussi, il est encourageant d’obtenir de tels résultats alors que seulement un professeur, parmi tous ceux avec qui un élève peut interagir au cours d’une année scolaire, a suivi le module d’informations. Cela suggère que même de simples modifications dans l’environnement socio-éducatif d’un élève (comme la confiance et le respect qu’il peut porter à seulement l’un de ses professeurs) peuvent avoir un impact important sur son comportement. Enfin, parce que cette technique de modules en ligne est facilement applicable à grande échelle, elle représente une opportunité crédible et fiable pour améliorer la gestion de la discipline scolaire et réduire les sanctions disciplinaires.
Référence : Okonofua et al. (2016) Brief intervention to encourage empathic discipline cuts suspension rates in half among adolescents. PNAS 113:5221-6.
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À PROPOS DE L’AUTEUR :
Ancien chercheur et spécialiste des sciences comportementales, Morgan DAVID a fondé et dirige le cabinet ANALYTICA en France et au Royaume-Uni. ANALYTICA propose de rendre le savoir et les techniques liées au sciences comportementales accessibles pour répondre aux problématiques concrètes des entreprises et organisations. ANALYTICA utilise la manière dont fonctionne notre cerveau afin de proposer de meilleurs produits et services dans différents domaines tels que le marketing, la santé, le management, l’innovation publique, etc…